Musique et Politique

.dpi numéro 31 s’inscrit à la suite de l’article «Musique et politique, pratiques de femmes», paru dans le numéro 27. Traversée par l’étude des relations qu’entretiennent la musique et la sphère des sciences humaines, cette parution est constituée en collaboration avec des auteur-e-s invité-e-s à poser un regard critique d’ordre politique, social et culturel, orienté vers la création musicale de femmes, de queer et de minorités. Les textes rassemblés sont investis d’une tonalité engagée et intéressée à divers types de musiques : autochtone, improvisée, électronique, électroacoustique et traditionnelle.

La pratique de la musique, qui inclue également l’art sonore et audio - considérée en fonction des contextes de production, de diffusion et de distribution - nous révèle des aspects de notre société. Possédant une grande force d'expression, la forme sonore  possède un pouvoir de réunification autour de causes sociales et politiques, tout en incarnant par extension un outil au service de la résistance, de la révolte et de la protestation.

D’autres formes artistiques nous donnent également des témoignages et des retours pertinents sur les réalités palpables que nous vivons aujourd'hui. L'architecture est particulièrement l’une de celles qui a beaucoup d’impact par le fait d’occuper le tissu urbain. Un exemple très significatif est celui de l’édification amorcée en 2011 de la Philharmonie de l'Elbe à Hambourg, en Allemagne, par les architectes suisses Herzog & de Meuron. Dominé par une énorme structure vitrée en forme de vague, le bâtiment de style postmoderne semble illustrer la célèbre phrase de Goethe : «L'architecture est comme la musique gelée», issue de l’ouvrage Conversations de Goethe avec Johann Peter Eckermann. Alors que la salle de concert est prévue d’accueillir le public en 2017, son budget initial évalué à 77 millions d'euros est maintenant passé à 789 millions^[1]. Étant en période d’austérité à l’échelle mondiale, avons-nous besoin d’arborer de tels symboles de luxe?

La musique a cette force de frappe, qui ne requiert pas nécessairement de grands moyens de production pour faire passer un message. Les auteur-e-s de ce présent numéro de .dpi font ressortir que la musique s'affirme très bien à l'extérieur de cadres où la valeur économique prend des proportions exorbitantes, à l’opposée de rapports équitables. L’usage de moyens modestes est le point commun entre les musicien-ne-s et les artistes rassemblé-e-s dans cette actuelle publication. Plusieurs aspects de la musique situés à l’intersection des dimensions sociales et politiques sont auscultés.

Megan Mericle propose un entretien avec Odaya, un collectif de femmes musiciennes autochtones montréalaises. Sous l’angle de la justice sociale, l’auteure démontre la richesse du travail de résistance qu’elles exercent. Par le biais de la musique, elles contribuent à préserver une culture, à la renouveler, à renforcer le sens de la communauté et le sentiment d’appartenance des femmes à la culture autochtone, ainsi qu’à lutter contre les stéréotypes transmis dans les narratifs coloniaux.

Deanna Radford présente un entretien avec Ultra-red, un groupe d’art sonore américain qui poursuit une mission de sensibilisation auprès notamment des sidéens, lesbiennes, communautés marginalisées, sans-papiers et sous représentés, autour de sessions d’écoute de compositions sonores.

Arman Koushyar brosse un tableau du climat artistique très restreignant en Iran. Via l’analyse de la vidéo Turbulent (1998) de l’artiste iranienne Shirin Neshat, il révèle le déséquilibre entre les pratiques des hommes et des femmes qui s’adonnent à la musique, et dénonce les artistes poussés à s’exiler en raison de la censure et des interdits dictés par le régime politique.

Joseph Sannicandro jette une lumière sur la pratique de la musicienne américaine Matana Roberts, en se référent particulièrement à ses derniers albums. Adoptant une esthétique DIY de la musique improvisée, grandement influencée par le jazz, et le développement du collage sonore et une pratique arts visuels, Sannicandro souligne l’engagement sociopolitique de l’artiste.

Julie Alary Lavallée se concentre sur le documentaire The Delian Mode réalisé par la Canadienne Kara Blake ainsi que sur la carrière de la musicienne Delia Derbyshire, impliquée dans la musique expérimentale en Angleterre des années 1960 avec le BBC Radiophonic Workshop. L’auteure opte pour une mise en contexte de la production musicale radiophonique de l’époque et un aperçu du travail de Daphne Oram et Maddalena Fagandini, deux autres femmes qui ont aussi oeuvré dans ce milieu en Angleterre.

Expressément pour le lancement de .dpi, la musicienne montréalaise Émilie Mouchous a été conviée à créer une atmosphère sonore en continu à l’aide de plusieurs postes de radio. Notre corps baigne constamment dans l’espace invisible de la transmission de données composé d’ondes électromagnétiques. Loin d’être un refuge libre, ces ondes sont régies par des protocoles très contrôlés et leurs fréquences appartiennent pour la plupart à de grandes corporations. Le temps d’une performance, Mouchous se réapproprie cet espace selon une trame non linéaire : les ondes deviennent le médium de création, dont elle exploite les propriétés en incorporant des effets de textures et des contenus narratifs.

.dpi 31 illustre et se joint à la pensée de George McKay lorsqu’il circonscrit la culture DIY  au « fait de faire quelque chose dans les domaines social et politique^[2]».

Esther Bourdages

Bibliographie

BOHLMAN, Philp V., «Musicology as a Political Act», The Journal of Musicology, vol. 11, no 4, 1993, p. 411-436. Imprimé.

BOURDAGES, Esther. «Musique et politique, pratiques de femmes», .dpi, no 27, 2014. [En ligne] http://dpi.studioxx.org/en/musique-et-politique-pratiques-de-femmes. Consulté le 28 avril 2015.

Sous la direction de BÉLANGER, Anouk , Annie Gérin et Will Straw. Formes urbaines : circulation, stockage et transmission de l'expression culturelle à Montréal. Montréal : Les éditions Esse,  2014, 229 p. Imprimé.

ECKERMANN, Johann Peter. Conversations de Goethe avec Eckermann. Paris : Gallimard, 1988. 648 p. Imprimé.

Jeune afrique, «Mali : la chanteuse Fantani Touré, la ‘voix des femmes en détresse’, est décédée». Jeune afrique, toute l’actualité africaine en continu, 4 décembre 2014. [En ligne] http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20141204124532. Consulté le 28 avril 2015.

MCKAY, George. DiY Culture: Party and Protest in Nineties' Britain. Brooklyn: Verso, 1998. 318 p. Imprimé.

PROUST, Marcel. À la recherche du temps perdu. Tome 3. Paris : Gallimard,

Bibliothèque de la Pléiade, no 102, 1988, 1952 p. Imprimé.

ROSENFIELD, Karissa. Herzog & de Meuron’s Elbphilharmonie to be Completed by 2017, “Arch Daily, Architecture News”, February 14, 2013. [En ligne] http://www.archdaily.com/332367/herzog-de-meurons-elbphilharmonie-to-be-completed-by-2017. Consulté le 28 avril 2015.

SEIJDEL, Jorinde, Editorial, «Open! Cahier on Art, Culture & the Public Domain». no 23, 2012. [En ligne] http://dutchartinstitute.eu/page/2129/jorinde-seijdel. Consulté le 28 avril 2015.

Autres sites de consultation

Ekho :::::::::::: Women in Sonic Art [https://ekhofemalesound.wordpress.com/]

Hernoise [http://hernoise.org/]

Womens Liberation Music Archive [http://womensliberationmusicarchive.co.uk/j/]

Source: ATS, «La Philharmonie de Hambourg surfe sur la ‘vague de verre’», Arcinfo, 31 janvier 2014. [En ligne] http://www.arcinfo.ch/fr/monde/la-philharmonie-de-hambourg-surfe-sur-la-vague-de-verre-577-1257380. Consulté le 28 avril 2015.