Le féminisme ironique, c'est pas si drôle que ça...

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am I a fucking feminist ?Image : capture d'écran du site amiafuckingfeminist.com/

 

« Am I fucking feminist ? » est une page Web signée Meredith Fineman qui propose un très court test interactif dont le résultat vous indique si vous êtes féministe ou non. On y fait l’équation juste, bien que réduite à sa plus simple expression, entre le fait d’être pour l’équité entre les deux sexes et celui d’être féministe. 

Il est vrai que les enjeux du féminisme résident davantage dans la définition de cette équité et dans ses applications concrètes, mais un petit retour vers cette prémisse qui nous rassemble, ça fait du bien au beau milieu d’un débat sur le port des signes ostentatoires dont les répercussions sont plutôt déprimantes.

Que votre réponse soit yes ou no, on vous redirige vers la page « Feminism » de Wikipédia. L’aspect amusant se trouve dans la forte possibilité qu’un(e) antiféministe soit alors tagué de féministe, je veux dire, de « fucking feminist », une expression qui illustre une perception du féminisme comme étant quelque chose de désagréable et exaspérant.

Le projet est ironique. On place le récepteur antiféministe  (idéalement)  dans une relation de complicité et, par là, on le contraint à faire la moitié du chemin dans l'adhésion à sa propre thèse (fucking feminist), puis on pousse la chose jusqu’au bout (êtes-vous pour ou contre l’équité entre les hommes et les femmes?), la réponse positive permet de montrer l’absurdité de la thèse (fucking feminist) pour proposer de nouvelles perceptions (le féminisme c'est...).

En fait, l’ironie, c’est le dernier recours au sein d’une stratégie de persuasion destinée à un récepteur qui n’a aucune envie d’être éduqué au féminisme. En ce sens, le féminisme ironique est toujours un peu triste.

Ça me rappelle les affiches des Guerilla Girls avec leurs affirmations ironiques à propos des avantages d'être une femme artiste. Par leur réunion sur une même affiche, ces affirmations montrent l'évidence et l'absurdité de l’iniquité entre les hommes et les femmes dans les milieux de travail. Au début, on sourit. Au fil de la lecture, on est crampées. Puis à la fin, on a un peu envie de pleurer.

Dans le même registre, la vidéo virale It’s Your Fault créée par un groupe d’humoristes indiens m’apparait plutôt efficace. Ici, c'est la culture du viol s'alimentant en grande partie du blâme de la victime que l'on veut mettre en lumière. Le point fort de la vidéo est à mon avis lorsqu'on voit une femme portant une Burqa et une autre arborant un suit d'astronaute, ceux-ci étant présentés comme des tenues féminines risquant de provoquer un viol.

Le message est clair : cessez de blâmer les victimes. Enfin, presque. Dans le monde.fr,  un auteur  a intitulé son article à propos de la vidéo «  Quatre minutes pour rire des viols », félicitant les humoristes d’avoir eu le guts de faire une telle chose.

Euh… Non !

Le viol est une négation de la personne qui le subit. Si on en riait, on répèterait cette même négation. Le problème, c’est que beaucoup d’humoristes rient du viol (en niant que ce dont ils parlent est un viol) et que cette vidéo ironique fait tout le contraire. À la limite, elle rit des violeurs. En fait, elle tourne en dérision la logique d'un système patriarcal qui accepte et justifie le viol et elle déconstruit ce système en montrant son absurdité. C’est ça qui est chouette avec l’ironie.

L’auteur en question a non seulement collé un titre insensé à son article, mais il conclut ceci au sujet de la vidéo féministe :

Ce qui rend It’s Your Fault remarquable, ce ne sont cependant pas les femmes célèbres qui jouent dans la vidéo, mais les hommes qui l’ont écrit : une tribu d’humoristes jeunes, cools et privilégiés […] (Un commentaire similaire se retrouve dans notre quotidien Le Devoir)

Un autre point pour le patriarcat ! Fin de l’ironie pour moi. En fait, c’était peut-être plus un sarcasme. Mais que dire d'autre ? 

***

Récemment, j’ai lu un article sur le Web qui m’a soulagée pendant quelques heures. Cet article argumentait intelligemment qu’une féministe n’est pas responsable d’éduquer qui que ce soit. De toute manière, "éduquer", ça parait toujours un peu méprisant. C'est pour cela que l'ironie, la vraie, celle qui ne se transforme pas en sarcasme, m'apparait productive. Cette semaine-là, j'étais justement au bout de mon clavier en train de répondre à des commentaires comme celui cité ci-haut, avec un peu d'ironie. 

Mais comme bien d’autres féministes, je trouve difficilement l’équilibre entre l’éducation et la condescendance, entre l’argumentation qui apporte quelque chose et celle qui me mène tout droit vers le burn-out émotionnel, entre la joie de voir un projet dont l’intention est admirable et la colère de constater que les analyses à son sujet sont un peu méprisantes. Mes réactions en éccopent : j'oscille constamment entre la féministe ironique et la "fucking feminist" sarcastique.

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Commentaires

Je suis en total accord avec la question de "l'éducation": oui, ça apparaît condescendant et jusqu'à un certain point, justement, il ne faut pas tomber là-dedans. Mais il faut se rappeler qu'on appelle souvent éducation à la fois le primaire et l'université, qui sont pourtant sur bien des points aux antipodes. Éduquer ne doit en ce sens pas être pris comme proche d'un endoctrinement ou d'une infantilisation, mais plus proche de donner tous les outils nécessaires et de montrer toutes les perspectives d'un problème. Et je crois que c'est ce que tu fais avec ce billet.

Je me questionnais lorsque tu parlais de tes exemples: j'étais pris comme tu l'indiquais juste après entre trouver ça drôle ou triste. Et j'avais en tête ton "pas si drôle que ça" du titre qui, il me semble, n'apparaît pas aussi clairement dans ton article. Au fond, je crois que c'est ça l'éducation que ce genre de billet peut faire: non pas me dire "il faut que tu ne trouves pas ça drôle!", mais me pousser à me questionner sur le fait que rire d'une chose ne veut pas dire qu'il faut s'arrêter à ce rire. Sans dire aux gens quoi faire ou quoi penser, il faut leur donner les possibilités de le faire - c'est ça, à mon sens, éduquer.

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