La première source d’inspiration pour la thématique « Transitions inévitables » de .dpi 25 a été l’environnement : le souci du réchauffement climatique et la déréglementation des industries ayant un impact négatif sur lui. L’autre source d’inspiration principale a été élaborée à partir des actions directes qui ont eu lieu à travers le monde en opposition aux forces qui soutiennent le statut quo politique, économique et environnemental. L’idée de prendre du recul et de réfléchir de manière critique au timing de ces choses et à ce que cela signifie renvoie au sentiment que nous sommes au seuil de grands changements, d’un mouvement partant d’un point important dans le temps à un autre, ou d’une transition inévitable. La vague énorme d’actions des individus et des mouvements dans le monde entier, notamment depuis le Printemps arabe, vient parler haut et fort de ces questions. Face à la grève des étudiants québécois en 2012, le Mouvement Occupy et les autres actions, comment les artistes ont-ils réagi ? Plus précisément, comment les artistes en arts médiatiques féministes, queer, transgenres et les activistes ont répondu à ces choses dans leur travail de création ? Les femmes à travers le Canada qui ont participé à cette édition de .dpi ont fait un excellent travail. Elles se sont exprimées à un moment donné du temps au moyen d’une variété de préoccupations et à travers différentes formes d’art. Leurs préoccupations sont interconnectées. Elles s’expriment contre le statut quo, elles sont les signes annonciateurs du changement, et elles aident à réfléchir sur un moment fascinant dans le temps. Lorsque l’équilibre du pouvoir repose dans l’examen d’une transition inévitable, cela est toujours sujet à changement et le temps de la discussion est venu. Les contributrices de .dpi 25 proposent une visite riche de quelques-unes de ces questions. Que ce soit par des commentaires sur notre monde actuel ou par l’imagination de mondes nouveaux par le biais de la vidéo, l’art sonore, l’essai ou l’image , elles illustrent sensibilité et possibilité. Petit à petit, nous poussons et tirons, nous faisons le changement.
Comme feu la scientifique Rachel Carson demandait lorsqu’elle écrivait à propos du pesticide DDT en 1962, les changements perçus ou décrits comme étant inévitables ne font pas toujours le bonheur de la population générale et ne contribuent pas tous à l’intérêt public. Elle posait la question « Sommes-nous tombés dans un état d’hypnose qui fait en sorte que l’on accepte que les choses inférieures ou nuisibles sont inévitables, comme si nous avions perdu la volonté ou l’ambition d’exiger du bon? » (12) En remettant en question le statu quo, Carson a adressé la question du pouvoir au sein des industries chimiques et commerciales et a examiné comment il est utilisé. De plus, sa remise en question du statu quo était un parfait exemple de la prise de risque et a aidé à illustrer un exemple d’avancée sociale à des fins de santé et de sécurité. Carson fut contrainte de contester le pouvoir pour des raisons professionnelles, morales et éthiques et ce au péril de sa sécurité et sa carrière. C’est dans cette même optique que les contributrices de Transitions inévitables adressent des préoccupations importantes.
La contribution de l’artiste Nazik Dakkach s’inspire des premiers temps du cinéma. Sa bannière superpose une migration de pélicans sur une carte datant de la période d’expansion dans le territoire maintenant connu sous le nom d’Alberta, au Canada. Dakkach interroge avec fougue la métamorphose d’un terrain appartenant à son peuple autochtone en une terre possédée par des colonisateurs. Elle parle également de préoccupations pour l’environnement naturel en lien avec les projets de bitume et de sables bitumineux dans la région. Il est aussi question des impacts néfastes de l’industrie sur le pélican, tels le DDT et le déversement pétrolier de Deepwater Horizon.
L’article Slow Art in a Time of Flash Floods: What’s a Queer Feminist Settler To Do?, signé par Roewan Crowe, offre un aperçu de sa pratique. Il incorpore des réflexions sur sa propre pratique artistique tout en traitant des problématiques en lien avec le développement post-colonial de terrains en Amérique du Nord. Crowe explique comment ce développement mène à des actes de violence envers la terre et les humains. D’une manière profonde et introspective, Crowe interroge les liens entre de tels actes et des catastrophes comme l’ouragan Sandy.
Karen Hibbard est une artiste et éducatrice qui examine ce qui arrive lorsque les animaux ripostent. Empruntant cette question d’un titre tiré du livre Silent Spring de Rachel Carson, la pièce de Hibbard juxtapose des représentations d’animaux et de camions à ordures avec des paysages et des bouteilles d’eau en plastique. Le résultat final, à la fois ludique et tranchant, est un commentaire évocateur sur les habitudes de consommation populaires.
Anxious Landscapes: Burtynsky's Photographs and the Possibility for a Feminist Risk Politics, de Sabine Lebel, analyse la culture du risque dans l’oeuvre du photographe Edward Burtynsky. Son interprétation féministe des thèmes de Burtynsky examine en profondeur les tensions face à sa documentation des industries minières, de carrières, manufacturières, de transport, pétrolières, de recyclage et d’eau à travers le monde. Avec une préoccupation bien sentie pour les environnements photographiés par Burtynsky, Lebel explore les implications pour les personnes qui visionnent ses oeuvres à titre de consommatrice, d’historienne de l’art et de féministe.
La pièce de l’artiste sonore Sarah Boothroyd, Pay No Attention to That Man Behind the Curtain, tire le rideau acoustique afin de dévoiler les étapes laissées pour compte du journalisme radiophonique : les préparatifs, les prises refusées et les moments entre les échanges du journaliste et du sujet interrogé. Boothroyd fait ressortir la nature de la diffusion de voix en ondes dans le but de communiquer tandis qu’elle décrit le journalisme « comme un processus de révision et de sélection plutôt que la transmission intégrale d’une histoire au public. » L’oeuvre de Boothroyd est évocatrice et encourage le public à réfléchir aux types d’informations médiatiques que nous recevons.
Comme l’anthropologue Margaret Mead est connue pour avoir dit « un petit groupe de citoyens engagés et réfléchis est capable de changer le monde », les artistes présentées dans .dpi 25 : Transitions inévitables adressent d’importants enjeux actuels où le silence est souvent accepté comme norme par la majorité.
Références
Carson, Rachel. “Silent Spring.” Boston and New York: First Mariner Books, 2002. 12. Print.
Deanna Radford est une auteure et poète passionnée par l’art sonore, la musique expérimentale et le texte. Elle détient un baccalauréat en anglais et en science politique de l’Université de Winnipeg et poursuit des études dans le domaine de l’art et du design digital. Elle a publié un livre de poésie en 2011 intitulé Building Ground. Elle a contribué à plusieurs publications dont MUTEKMAG, MusicWorks et Herizons et s’est jointe au comité de rédaction de .dpi en 2011. Elle a été administratrice pour de multiples organismes culturels axés sur l’art et croit fermement aux efforts issus de la communauté.