Femmes anonymes

Onglets principaux

No:

29 « 100% Montréal »

Type de contribution:

Éditorial

C’est si facile de romancer le passé, d'inventer une fausse nostalgie d'une période que nous avons en fait jamais connue. Tout comme certain-e-s adolescent-e-s aujourd'hui qui souhaitent avoir vécu dans les années 1990 (en raison de son côté actuellement branché), je regrette parfois de ne pas avoir vécu à l’époque révolutionnaire des années 1960 et 1970. Ce désir est probablement fondé sur une perception construite selon laquelle, « dans le temps », être une femme semblait presque toujours signifier être féministe, à un moment où les femmes semblaient généralement brasser les choses en se réunissant, en combattant et en offrant un soutien mutuel dans toutes les sphères de la vie.

Les rêves du passé se sont peut-être entrelacés avec les craintes du présent, comme si aujourd'hui certaines choses étaient devenues « moins possibles » en raison des contextes social, politique et économique sous l'austérité, la précarité et la surveillance globalisées. Aujourd'hui, être une femme ne veut pas nécessairement dire être féministe et être féministe ne veut pas nécessairement dire être contre toutes les formes d'oppression (racisme, capacitisme, classisme, etc.). Mais, même si le féminisme semble moins normalisé de nos jours - pensons au discours de la superfluité du féminisme, endémique chez diverses jeunes générations, ou à l'association entre le féminisme et la haine envers les hommes - des initiatives féministes semblent se multiplier et obtenir plus de visibilité. Est-ce que l'atomisation serait actuellement en train de faire marche arrière?

La dynamique de pouvoir, entourant la question de la visibilité, constitue un point critique pour toute lutte, et par conséquent pour le féminisme. Dans le cadre d'un système patriarcal, les actions des femmes tendent à l'invisibilité. C’est aussi le cas par rapport au travail en général, donc, au milieu des arts aussi. Se souvenir de ce que les générations de femmes précédentes et actuelles ont fait n'est pas seulement important pour ne pas devenir invisibles, mais également pour rendre hommage et s’inspirer mutuellement - cela fait partie d’une éthique féministe. Parce que la perception est à la base de nos actions, les gestes de documenter, revisiter et analyser contribuent à la transformation. Bien que cette croyance sous-tende la raison d'être de .dpi dans son ensemble, notre nouveau numéro annuel sur Montréal vise à jouer un rôle plus direct dans la construction d’une communauté au plan local. Contrairement aux autres numéros, celui-ci n’implique pas la participation d’un-e coordonnateur-rice de dossier invité-e.

Pour la première itération de « 100% Montréal », nous avons commencé près de nous de plusieurs façons. Tout d'abord, toutes les contributions de ce présent numéro sont bénévoles et rédigées par des proches collaboratrices de .dpi, incluant les membres du comité de rédaction et les blogueuses. Étant donné le manque de financement, le doing-it-ourselves était une solution. Idéalement, nous aurions été en mesure de payer les honoraires des auteur-e-s et des artistes indépendamment de leur appartenance à la publication. En même temps, la situation, quoique complexe et pleine de contradictions, révèle aussi un certain attachement aux projets qui ne relèvent pas d'une relation financière. C’est donc aussi une certaine source d'espoir. Le contexte spécifique de ce numéro a également permis des contributions volontaires dans le sens où les rédactrices de .dpi ont choisi leur sujet à partir de leurs propres pratiques et intérêts. Ainsi, ce numéro met en avant également ce qui tient à coeur au collectif .dpi : la création d’espaces sécuritaires, la mise en valeur d’efforts féministes, la création de ponts entre les disciplines, les générations et les médias, la solidarité, la production ainsi que le partage d’histoires et de connaissances.

Par ailleurs, ce numéro porte un regard sur notre propre milieu culturel composé de centres d'artistes autogérés, de collectifs ainsi que de groupes communautaires et de recherche. Avec des contributions liées à Eastern Bloc, Vidéographe et Studio XX, le numéro présente une collaboration spéciale avec le centre La Centrale Galerie Powerhouse, qui célèbre cette année son 40e anniversaire. Plus modestement, .dpi marque son 10e anniversaire en 2014 (des événements sont à venir). Ce numéro rend également visible un réseau informel de centres qui partagent des valeurs féministes communes à travers leur résistance au projet de loi 60 au Québec. En objectivant et discriminant des femmes et des communautés racisées spécifiques, la Charte des valeurs québécoise encourage la violence à leur égard.

En somme, ce numéro présente (et relie) des lieux de rassemblement ainsi que des communautés formées par des femmes et des féministes à Montréal. Nous espérons que ce numéro « 100% Montréal » sera attendu avec impatience par tous et toutes chaque année.

Sophie Le-Phat Ho
En collaboration avec le comité de rédaction de .dpi

Sophie Le-Phat Ho est une chercheuse et organisatrice culturelle de Montréal. Formée en tant qu’archiviste, elle a également complété une maîtrise en anthropologie médicale au Goldsmiths College (University of London) au Royaume-Uni à la suite de ses études à l'Université McGill en environnement et en études sociales de la médecine. En plus d'avoir été directrice artistique des HTMlles 10 | AFFAIRES À RISQUES, festival féministe international d’arts médiatiques + de culture numérique, elle a travaillé à la Fondation Daniel Langlois pour l'art, la science et la technologie, au Conseil des Arts du Canada, ainsi qu’au Studio XX en tant que coordonnatrice à la programmation et rédactrice en chef de .dpi à ses débuts. Elle a été l'une des commissaires de UpgradeMTL (Montréal), dans le cadre du réseau Upgrade! International de  technologie, culture et politique, et a été invitée à agir en tant que co-commissaire lors d’événements présentés par des centres d'artistes autogérés dont Skol, DARE-DARE et Eastern Bloc. Ses écrits individuels et collectifs ont été publiés dans Vague Terrain, esse arts + opinions, Inter art actuel, ETC, livedspace et Le Merle, entre autres. Elle a également été rédactrice en chef invitée pour FUSE et No More Potlucks. En tant que membre co-fondatrice du collectif Artivistic (artivistic.org), elle travaille à l'intersection de l'art, de la science et de l'activisme.