Bringing down the wall – The Living Archives meet La Chorale

Onglets principaux

No:

26 Affaires à Risques

Type de contribution:

Court essai

Mot-clés:
art

Résumé

Collaboration et transgression dans le cadre du centre d’artistes autogéré et de la grève sociale

Dans le contexte du centre d’artistes autogéré qu’est le centre des arts actuels Skol et de leur programmation inspirée par la grève étudiante, deux projets artistiques ont collaboré autant dans l’espace que dans la distribution de ressources, la pratique artistique et le continuum des pratiques interventionnistes, du mouvement Occupy à la grève étudiante et sociale. Deux installations, soit une archive interactive ainsi qu’une chaise berçante collective, constatent rapidement qu’elles devront aller au-delà des murs de la galerie ainsi que de leurs propres compréhensions de la production artistique et de la transgression dans le contexte culturel du centre d’artistes autogéré afin de pouvoir vraiment articuler leur désir mutuel de collectivité.

Les extraits suivants sont tirés d’une publication collective qui sera issue des collaborations entre les artistes et les auteurs à propos de cette rencontre, co-présentée par le centre des arts actuels Skol, entre La Chorale et The Living Archives dans le cadre du festival Les HTMlles cet automne. Les auteures Edith Brunette, Pascale Brunet, Arkadi Lavoie Lachapelle et Koby Rogers Hall échangent sur la collaboration et la divergence dans le fait de questionner les notions de confort pour aborder ultimement la prise de risques dans la renégociation du processus créatif et de ses économies de valeur.

Edith Brunette allie dans son travail la pratique artistique et le recherche théorique. L'une comme l'autre s'intéresse aux formes des discours dominants, à leur manière de représenter le monde – celui de l'art, notamment -, d'en exclure certains éléments et d'en simplifier d'autres.

Pascale Brunet est une tricoteuse sociale et une organisatrice communautaire; dans ces temps libres, elle aime traduire des idées socio.politiques en formes et en couleurs.

Arkadi Lavoie Lachapelle crée des situations artistiques qui questionnent l'idéologie productiviste ambiante et y opposent une certaine résistance. Ses recherches s'articulent autour des différentes formes que prend la notion de collectivité ainsi que la poésie-action.

Koby Rogers Hall is interested in participatory works for political engagement. Her most recent projects include dialogical arts practices, archiving as cultural activism, public interventions, and interdisciplinary performance environments.

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« There is no such thing as a single-issue struggle because we do not live single-issue lives. »

- Audre Lorde

Arkadi, Koby et Frédéric n'ont pas pondu un projet commun. Arkadi fut invitée d'un côté, Koby et Frédéric de l'autre, chacun dans sa salle. Les salles, à Skol, il y en avait deux, la petite et la grande. Pour les expositions La Chorale et [P(re)]occupations, il n'y en a plus qu'une, les artistes ayant décidé collectivement d'abattre le mur mitoyen. Abattre un mur, ce n'est pas un geste anodin : c'est même une expression. Dans le cas présent, c'est une métaphore incarnée en geste. Abattre les murs est depuis longtemps un leitmotiv commun en arts, mais abattre les murs est surtout un impératif politique, car au cœur du politique se trouve l'échange. Le politique, c'est organiser le vivre-ensemble.

Les artistes et militants souvent se côtoient et s'observent, parfois admiratifs, parfois en chiens de faïence. Parfois, délaissant leurs rôles de bibelots, ils s'approchent les uns des autres, se reniflent, se cherchent des odeurs familières. Le mur abattu de Skol, c'est la possibilité pour deux mondes de se renifler mutuellement au-delà de la rue, du Printemps québécois transformé en Automne parlementaire. Cohabiter pour mieux régner.

Le militantisme n'est pas une chose théorique, mais est d'abord un engagement complet, y compris émotif, y compris physique. Il est demandant, épuisant, alterne entre euphorie et maladie, est miné par le doute et propulsé par l'espoir, et toujours soutenu par la présence des autres autour de nous. On ne milite pas seul devant son ordinateur. Pourtant, de ces composantes affectives et biologiques, nous parlons peu. Peut-être parce que nous sommes un peu trop universitaires… Peut-être aussi parce que l'on reproduit à l'intérieur des mouvements militants les mêmes réflexes patriarcaux qui nous amènent à placer le savoir au-dessus du doute et à associer la force au contrôle. Sans doute n'est-il pas anodin, alors, de constater l'importance de l'humain et de sa fragilité dans cette exposition [de [P(re)]Occupations et de La Chorale ]. Une fragilité qui fut le motif de deux projets nés d'un besoin de réconfort, de proximité et de recréer des liens fragilisés après le démantèlement des tentes. – e.

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The wall. Always porous. Never solid. Always loaded. Providing shelter like it provides barricades from the unknown, the uncomfortable. Want to blow it up all in one go. – k.

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dessin: Pascale Brunet

Dans la grande galerie tout de blanc vêtu, il a fallu abattre un mur pour que la lumière puisse venir bercer les œuvres présentées à toutes les heures du jour. Il fallu faire tomber le mur pour mettre en lumière ce qui unit et ce qui sépare, pour que ces œuvres puissent être vues ensemble. Il fallut que le mur n'existe plus pour que nous soyons ensemble.

Si cette affirmation relève de l'évidence, sa mise en pratique, dans un monde où nous sommes de plus en plus isolé.e.s, est un défi constant. Les empereurs du monde de la finance crient à tue-tête « ouvrez les frontières! Libérez les marchandises! ». C'est à grandes plottés de ressources naturelles qu'ils nourrissent l'économie, cette petite bête qui ne cesse jamais de rouler et qui leur sert d'animal de compagnie. Pour la protéger, ils sont prêts à tout, même emmurer la terre afin de s'assurer que les humains resteront bien tranquilles dans leur territoire désigné à la naissance. Des kilomètres de murs, une immense prison à ciel ouvert. – p.

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« Tell your story, before someone else cuts you out of it. »

- Erykah Badu, Black Power Mixtape

C'est dans le non-cadre d'OM que j'ai réalisé que j'opérais en tant qu'artiste avec la même logique de production que je dénonçais ailleurs. Mon processus créateur s'enracinait dans les modes productiviste et utilitariste, au service du capitalisme et du consumérisme qui rendent l'individuà jamais insatisfait.

Un an plus tard, la problématique n'est pas résolue. L'exposition au désarroi m'apparait comme une perspective plus créatrice que son extinction. La stratégie de l'épuisement étant déjà celle dunéolibéralisme. – a.

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Le capitalisme néolibéral et ses tentacules se sont accaparé l'art, que se soit en introduisant l'idée que la « valeur » d'une œuvre produite se calcule selon son prix sur le « marché de l'art », ou encore en produisant un exode des cerveaux créatifs vers des domaines comme le marketing et la publicité.

L'art doit être compris comme faisant partie de la culture au sens anthropologique du terme, c'est-à-dire comme fait social participant à la création de sens par et pour la communauté. La culture, c'est la colle qui nous unit les un.e.s aux autres. La marchandisation de l'art nous dépossède de sa fonction intrinsèquement politique, soit la capacité de transformer les relations de pouvoirs dans la société.


dessin: Pascale Brunet

Les liens entre activisme et art deviennent exacerbés (et donc plus évidents) dans les moments d'ébullition sociale; nous n'avons qu'à penser au mouvement étudiant du Québec qui, durant le printemps érable a réussi à se (ré)approprier la couleur rouge, qu'à tout récemment était associée aux libéraux. L'art permet de traduire des idées sociopolitiques en plus de toucher à la partie « sensible » de la sensibilisation politique. – p.

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Les deux projets se croisent aussi dans leurs formats. Aux accumulations de [P(re)]occupations et ses cent voix répond l'épuration d'une Chorale aphone. Le bruit est-il plus politique que le silence? D'un côté, il y a moi qui trouve mille vertus au vide et à l'inertie des arts visuels, à la faculté qu'ils ont, souvent, de laisser la pensée se déployer d'elle-même et pour elle-même, sans presse. Le silence, c'est le moment où le spectateur peut faire des liens qui ne lui sont pas dictés par un autre. À contrepied de ma réflexion, Koby rappelle le malaise que suscite en elle ce silence, l'envie de crier qu'il lui inspire : « pourquoi chuchote-t-on dans les galeries? », demande-t-elle? Mais penser ou crier, ce ne sont que deux manières de faire du politique… - e.

dessin: Pascale Brunet

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« How do you resist institutionalizing that which resists institutions themselves? »

I don't speak your language. French. Visual. Student (though I was recently released from the institution myself). Rocking rocking rocking chair. Lost in translation between us.

But there is the language of the heart. Of cold nights sleeping amongst skyscrapers somewhere. And warmer ones cheering on hot-blooded bodies. Like them, our desire to build bridges, to tear down walls, comes from this delinquent tendency of dreamers translated through craft. We breathe in the symbolic. We craft the exchange to make up what's possible, to intervene on the reality we cannot, we do not accept as real. – k.

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Les échanges, on les retrouve d'abord dans la volonté même des projets déployés.

Koby et Frédéric se sont connus dans l'euphorie de l'action politique, à Occupons Montréal ; ils ont conçu leur projet dans le désenchantement de l'hiver, après l'éviction de la place publique en novembre et sa réoccupation par les étudiants au printemps. « Juste au bord de l'effondrement », dira Frédéric. Dans l'entre-deux, il leur restait l'un, l'autre, et des tas d'images et de mots qui déjà leur échappaient : Occupons devenait le récit des autres - celui des médias, notamment. [P(re)]occupations est né du besoin de reprendre le contrôle de ce récit, de la conversation, de la manière dont on se parle.

Il faisait froid et gris également quand Arkadi a eu l'idée du banc. « Qu'est-ce qui me ferait du bien? », s'est-elle demandé : « me bercer ». Se bercer avec d'autres. Si Koby et Frédéric tentent de se réapproprier la parole, Arkadi se réapproprie - nous réapproprie - le corps et ses mouvements. De Beauvoir écrivait, dans Le deuxième sexe, que l'on ne peut pas se sentir d'emprise sur le monde si l'on ne se sent pas d'emprise sur son propre corps. La Chorale, c'est ici un chœur de corps en mouvements, seuls capables d'agiter leur socle et seuls capables de se bercer les uns les autres, de se réconforter, par la coordination de leurs actions. – e.

dessin: Pascale Brunet

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Trust. Many months of hopeful, tentative dancing around one another, not quite rocking just yet, multiple personalities that we are, interconnected webs we find ourselves woven into, crafting our desires, hopes and fragile belief in collaboration in artistic production, cold hard production as something we luckily, tentatively, agree to destruct from within.

We realized early on that maybe we come from closer than we think, you and I, warm bodies inching closer together on those cold nights, the buoyant laughter of colourful tents mocking the rigidity of these skyscrapers, welcoming their sad little lights into our arms. The power in the symbolic, the destruction of what we once perceived as real. In our very existence, by our very being there.

Come tell us your story. Rock with us for a while. We have pen and paper and warm drink. We have open hearts and a fervent desire to take down these towers, one by one. – k.

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16 octobre 2011, Occupons Montréal, tentes au bas de la tour de la bourse de Montréal près du Square Victoria, Montréal, Canada. Photo: Arkadi Lavoie Lachapelle.