Photo retouchée d'une session de visualisation dans le cadre du processus de refonte de la revue .dpi, janvier 2013.
Cher-ère-s ami-e-s,
À compter du printemps 2013, .dpi est publiée sous un nouveau format. Au cours de la restructuration et de la consolidation de son mandat, la revue paraîtra à raison de deux fois par an tout en bâtissant une plateforme participative -- au moyen d’un blogue mis à jour régulièrement -- plus flexible, spontanée, critique et axée sur la communauté.
De plus, fort de son histoire, .dpi est fière de se définir à présent comme une « revue féministe d’art et de culture numérique ».
La publication est propulsée par un nouveau comité de rédaction composé de Julie Alary Lavallée, Amber Berson, Esther Bourdages, Christina Haralanova, Corina MacDonald, Katja Melzer, Candace Mooers et Deanna Radford. Eh oui, ces femmes formidables forment maintenant l’un des groupes les plus talentueux et engagés du milieu artistique indépendant à Montréal, et peut-être même, dans le monde.
Afin de favoriser l’autonomie de la publication par rapport à ses créatrices et au Studio XX, le centre d’artistes autogéré féministe m’a invitée à assumer le rôle de rédactrice en chef de façon permanente. Ensemble, nous nous sommes assises afin de visualiser nos intérêts individuels et collectifs (en apportant littéralement divers objets et exemples concrets sur la table). Nous avons rêvé à des projets qui nous permettraient de rester ensemble dans un contexte sociopolitique où la précarité est grandissante et où la critique et la créativité sont limitées en fonction de ce qui vendra davantage ou contribuera à maintenir le statu quo.
En effet, pourquoi redéfinir aujourd’hui la publication en tant que « revue féministe portant sur l’art et la culture numérique »? L’importance du projet n’est pas donnée. Cependant, il revient à nous de définir cette urgence et non aux autres. C'est avec excitation et agrément que nous avons songé ensemble au plein potentiel de .dpi et ouvert notre imagination à de nouveaux espoirs, idées et actions.
Au fil de nos discussions, la question du « lieu » a traversé nos préoccupations. En 2013, nous n’opposons plus les mots « local » et « global », mais nous pouvons certainement voir la nécessité de créer et de solidifier de véritables communautés, alors que les configurations individualistes et normatives d’agir et de penser persistent toujours. En 2013, l’accent devrait sans doute être mis davantage sur l’affirmation de soi que sur la représentation de soi [i] dans le but d’avoir le sentiment de venir de quelque part, d’être ancré. Pour être en mesure de partager nos expériences personnelles et de faire front commun dans nos luttes multiples, à travers plusieurs champs et terrains différents. Et d’être en mesure de le faire à l’intérieur d’un environnement accueillant et encourageant où l’on se sent à l’aise de prendre des risques, d’expérimenter et de faire des erreurs.
Avons-nous une culture? [ii] Évidemment, il y a beaucoup de « culture » (certains diront que nous en avons trop) mais la question reste de savoir quelle sorte... Je crois que nous sommes trop polis en général [iii] même ceux et celles d’entre nous qui focalisent sur le « politique » ou le « critique ». C’est comme si la majorité de la production et de la critique culturelles étaient prises dans le vide du consensus libéral et bourgeois. Le monde et les relations sociales sont sens dessus dessous. Si nous décidons d’ignorer cette réalité, c’est que nous avons quelque chose à cacher ou bien à gagner... Si nous nous soutenons mutuellement en apprenant à parler des vraies choses et à agir en conséquence, la culture et la communauté seront créées à nouveau.
D’ailleurs, la culture ne relève pas uniquement du domaine des artistes, des écrivains ou d’une « élite » quelconque. La culture est née de la curiosité et de la passion, et chacun-e d’entre nous a le potentiel de développer ces traits. Il est temps pour la culture de cesser d’être une commodité (ou encore une section d’un journal) et de gagner en pertinence, en force et en risque, d’être co-reproduite à partir d’antagonismes qui mènent ultimement à l’autodétermination dans un cadre anti-oppression. En d’autres mots, il s’agit de refuser un féminisme impérialiste, raciste, ou transphobe. La culture se nourrie effectivement de la capacité d’être critique (et créatif), c'est-à-dire de savoir quand les choses ne vont pas et savoir en parler afin de permettre une vraie discussion. Elle est également alimentée par la valorisation de ce que nous faisons déjà bien, à titre individuel ou en tant que membres de collectifs ou d’organismes artistiques indépendants, et considéré assez important pour en parler et en discuter le plus ouvertement possible. C’est ainsi que nous pouvons apprendre, ensemble, et c’est l’une des raisons pour laquelle .dpi développera bientôt un glossaire communautaire, mis à jour régulièrement, ainsi que des outils facilitant la collaboration et les occasions de se rencontrer en personne.
Chaque nouveau numéro de .dpi sera pris en charge par un-e coordonnateur-rice de dossier invité-e (une personne ou encore un groupe) associé-e à un enjeu particulier, et abordera également des sujets hors dossier afin de préserver un espace pour toute thématique d’intérêt et d’actualité pour les artistes féministes et leurs allié-e-s. Jetez un coup d’œil à notre tout nouveau mandat ici.
Dans ce 27e numéro, Christina Haralanova, activiste féministe et chercheuse qui s’intéresse à la liberté de la technologie et aux logiciels libres, a dirigé un dossier sur le hacktivisme, en étroite collaboration avec le comité de rédaction. Malgré le peu de temps que nous avions, nous avons tenté d’explorer des médiums autres que l’écrit afin de jouer avec l’aspect Web de la publication et son côté artistique. Bien que certains textes demeurent plutôt académiques, nous espérons faire tranquillement notre place en proposant un style hybride tout neuf et bien à .dpi!
À bientôt,
Sophie Le-Phat Ho
en collaboration avec le comité de rédaction de .dpi
[i] J’emprunte cette idée (inspirée de Tiqqun) grâce à mon implication dans un autre collectif, Artivistic. Respect.
[ii] De façon générale, le concept de culture peut signifier bien des choses à travers le monde. Ici, la culture est évoquée comme la force créatrice et l’inspiration de communautés multiples. Je joue également avec le fait que l’expression « culture » est surutilisée de nos jours et qu’elle a peut-être perdu tout son sens...
[iii] Par hasard, au cours de la rédaction de cet éditorial, une amie a partagé cette citation -- à partir du Tumblr de loneberry -- de Susan Sontag sur Simone Weil, qui inspire la réflexion : « The culture-heroes of our liberal bourgeois civilization are anti-liberal and anti-bourgeois; they are writers who are repetitive, obsessive, and impolite, who impress by force—not simply by their tone of personal authority and by their intellectual ardor, but by the sense of acute personal and intellectual extremity. The bigots, the hysterics, the destroyers of the self—these are the writers who bear witness to the fearful polite time in which we live. It is mostly a matter of tone: it is hardly possible to give credence to ideas uttered in the impersonal tones of sanity. There are certain eras which are too complex, too deafened by contradictory historical and intellectual experiences, to hear the voice of sanity. Sanity becomes compromise, evasion, a lie. Ours is an age which consciously pursues health, and yet only believes in the reality of sickness. The truths we respect are those born of affliction. We measure truth in terms of the cost to the writer in suffering—rather than by the standard of an objective truth to which a writer’s words correspond. Each of our truths must have a martyr. »