Photographie de l'actrice Maude Adams
"I want to be a fucking feminist and wear a fucking Peter Pan collar."
Cette petite phrase de Zooey Deschanel parue dans le numéro de janvier 2013 du Magazine Glamour a fait et continue de faire le tour du Web : des blogues de mode aux revues féministes.
C’est quand même drôle quand on pense que l’accessoire en question doit son nom à Maude Adams (1872-1953) qui le portait pour incarner Peter Pan, le garçon qui ne veut pas vieillir. Contre la volonté de son père, la jeune femme est devenue la plus connue et la mieux payée des actrices de son époque.
Perso, avant que les gars de mon entourage ne commencent à se prendre pour des Don Draper et que les filles transforment le collet en marque d’amour pour les Mad Men, j’en faisais secrètement un symbole féministe.
Cela dit, l'exclamation de Deschanels, c’était comme un cri du cœur pour en finir avec l’idée qu’on ne peut être féministe et être coquette ou porter whatever floats our boat.
Choisir ce que l’on porte est une liberté individuelle incontestable (bien qu'elle ne soit pas toujours incontestée). On peut certes questionner la véritable liberté derrière certains choix, mais la part d’agentivité demeurant un élément hasardeux à analyser, le vestimentaire peut difficilement devenir un enjeu du féminisme. Ou encore, lorsqu'il l'est, il prend inévitablement la forme d’un patriarcat ravalé.
Si j'ai l'air d'énoncer des évidences, je crois au contraire que le faux paradoxe entre la coquetterie et le féminisme persiste aujourd'hui et qu'il peut être vécu de manière insidieuse. La ténacité de celui-ci réside en grande partie dans l’idée de « rassurance » qui est toute liée à la coquetterie. Ce qui est rassurant pour les uns engendre la méfiance chez les autres.
Coquetterie déf. : Désir de plaire, de séduire.
"Look, lady, the entire world is male-friendly", affirme une blogueuse du site the Outlier Collective en soutenant que le féminisme ne doit surtout pas être rassurant. Virginie Despentes fait un lien direct entre ce que j'interprète comme de la coquetterie et le désir de rassurer les hommes : "Le sur-marquage en féminité ressemble à une excuse suite à la perte des prérogatives masculines, une façon de se rassurer, en les rassurant. Soyons libérées, mais pas trop".
J’ai eu longtemps l’impression que ma coquetterie vestimentaire rééquilibrait l’image de la féministe « contondante bien aiguisée » (paroles de Fanny Bloom) que je suis et que, en ce sens, mon message serait mieux reçu par certains. Ensuite, j'ai eu peur que cette coquetterie soit perçue comme une incitation à ne pas prendre au sérieux mon féminisme. Finalement, je me suis bien rendue compte que celui qui ne veut rien entendre garde les bouchons bien enfoncés dans les oreilles, peu importe mon accoutrement. Cette responsabilité en ce qui a trait aux "impacts" de nos tenues est, en plus d'être erronnée, tellement incidieuse.
Si les tenues vestimentaires ont à mon avis aucune importance pour juger d'un féminisme, en revanche, c’est quand le féminisme lui-même s’imprègne d’une coquetterie rassurante que je m’inquiète. Le féminisme ironique, s’il procure un certain plaisir et séduit son "spectateur" dans les premiers instants de son déploiement, est supposé de donner envie de pleurer ou de vomir par la suite. Après avoir fait rire, il devrait faire réfléchir, sans quoi il échoue en minimisant ou en glorifiant l'inacceptable. Dans ce cas, plaire équivaut alors à complaire.
Il y a aussi un véritable danger à vouloir rassurer l'autre avant de se rassurer soi-même, ce qui se traduit trop souvent par la dissimulation de sa colère, cette émotion pas coquette du tout mais ô combien nécessaire, face à une violence. Il me semble également hasardeux de vouloir plaire, c'est-à-dire, de s'assurer de demeurer plaisant, alors que l’on argumente au sujet d'une inéquité que l'autre nie. Enfin, c'est là qu'elle se situe, il me semble, cette fameuse coquetterie rassurante que l'on porte à l'intérieur de soi et avec laquelle il faut rester vigilantes. Pas évident...
Si je me donne entièrement la liberté d’être féministe tout en étant coquette dans mon style vestimentaire, je me suis promis en revanche que jamais, au grand jamais, mon féminisme ne serait coquet. Enfin, j'essaie.
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