Contre-courant :: Emilie Houssa
Courants d’images, flux de pixels, réseaux de signes : il serait si facile de se laisser glisser sur ces eaux et de dériver sur de grandes déclarations comme « nous vivons dans une société de l’image ». Mais cette onzième édition de dpi surfe moins sur cette vague qu’elle ne tente de l’amortir, de la contenir, ou du moins de prendre le temps de la regarder. Les articles et les chroniques composant ce numéro sont donc autant de réflexions et de projets qui interrogent ce flot d’images à contre-courant. Ils questionnent des images mémorielles, des images signes, symboles, icônes, des images caches et des images cachées, des images détournées. À quel point influencent-elles notre quotidien? À quel point ces images créent-elles des frontières que leur visibilité mondiale semble pourtant effacer? À quel point peuvent-elles constituer un lieu et un moyen subversif d’un système institutionnalisé? À quel point ces images mobiles et volatiles remettent en cause l’idée même de présence ? Car être partout, pour « tous », tout le temps, c’est devenir insaisissable. Chacun des textes de ce numéro propose ainsi de saisir ces images en plein mouvement.
Saisir, réinvestir d’une pensée, d’une démarche, d’une action chaque centimètre carré de tissus ou de papier glacé qui recouvrent les pages des journaux, les murs des villes et nos pensées. Saisir, réinvestir le moindre pixel, la moindre bande-vidéo qui défile sur nos écrans d’ordinateurs ou de télévision. Le projet est gigantesque, la marche sera longue, nous vous invitons ici à faire quelques pas.
Paule Mackrous ainsi que Morvary Samare et Børrea Schau-Larsen se sont attachées à l’image de la femme, ou plutôt aux images de femmes qui peuplent et hantent notre quotidien. Paule revient sur un voyage à Bucarest et sur les immenses images publicitaires, mettant en scène des femmes, qui recouvrent les immeubles de la ville. Le voyage, et la mobilité qui lui est inhérente, rendent ici visible ce qui imprègne le quotidien. Au-delà de la surface polie de ces images, Paule construit une analyse profonde sur la place et la présence de la femme dans cette Roumanie entrée dans une nouvelle ère. A l’opposé de ces femmes-caches, le projet vidéo de Morvary Samare et Børrea Schau-Larsen : Promise Land met en image et en lumière des femmes cachées, victimes d’une traite qui se déploie à l’échelle mondiale pour laquelle l’effacement des frontières ne rend que plus inévitable la perte d’identité.
Pour continuer cet arrêt sur image, Maryse Gagné et Lorella Abenavoli prennent un recul théorique face à l’acte de représentation (mental ou artistique). Maryse propose de revenir sur les imagines agentes, présentes dans l’art de la mémoire de l’Antiquité, qu’elle a intégrées au sein d’un de ses projets d’enseignement en arts visuels. Ce voyage dans l’histoire est aussi un voyage dans notre propre mémoire dont la structure influence le réseau Internet (ultime voyage pour la mémoire de notre société?). Lorella, pour la chronique libre, s’interroge sur le voyage au cœur d’une œuvre d’art entre les multiples modalités de représentation. À partir de l’oeuvre Genesis d’Eduardo Kac, présentée au Musée des beaux arts de Montréal lors de l’exposition E-art marquant les dix ans de la Fondation Langlois, Lorella présente une réflexion personnelle mettant en avant la question de l’acte même de représenter. Ce problème, qui semble si attaché au domaine artistique, remet en cause bon nombre de postulats intégrés dans notre quotidien.
Au plus profond de notre quotidien, les chroniques d’Esther Guzman et de Sophie Le-Phat Ho s’attaquent aux signes et aux images qui nous entourent et que l’on identifie comme normaux ou marginaux. Dans la chronique féministe, Esther pointe les signes et les logos qu’on ne remarque plus et qui nous imposent pourtant des images et des identités prédéterminées. Voyageant entre les genres et les idées reçues, Esther nous invite en images et en mots à repenser les modes sociaux de représentations qui nous aliènent à des modes de vies fermés. Enfin, Sophie, dans la chronique actualité, propose de revoir et réinvestir les images pornographiques si facilement marginalisées et catégorisées, mais qui peuvent bien souvent représenter des démarches subversives. En exemple : Sharing is Sexy (SIS) projet et collectif né au croisement de groupes artistiques et activistes de San Diego proposant un site web/laboratoire open source de pornographie.
Je tiens à remercier l'ensemble du comité de rédaction de dpi et tout particulièrement Marianne Cloutier et Mélina Bernier pour leur aide précieuse.