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Ce qui nous regarde : les visages de Bucarest :: Paule Mackrous

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« Nous devons fermer les yeux pour voir lorsque l'acte de voir nous renvoie, nous ouvre à un vide qui nous regarde, nous concerne et, en un sens, nous constitue  1».

Alors que je me rendais à Bucarest, ville qui m'était jusqu'alors inconnue, pour participer à une conférence internationale, je n'avais en tête que mon dernier voyage en Europe de l'Est. Toutes mes attentes étaient ainsi puisées dans les mémoires, plus ou moins précises, de la belle Budapest creusée de bout en bout par le Danube. « Des villes jumelles probablement », je me disais en bonne Nord-Américaine. Leur nom rime et d'ailleurs, tout le monde les confond. En sortant de l'avion, j'avais envie d'un bain de foule et le transport en commun semblait la meilleure option pour me perdre. Dans l'autobus bondé du Boulevard Nicolae Balcescu, je me rendais jusqu'à la Piata universitatii (Place de l'université) pour ensuite rejoindre l 'Hotel Academica, en passant par un chenil « naturel » (les chiens errants reniflant le parterre devant les résidences étudiantes).

Au beau milieu de la Place de l'université, foyer de la vie intellectuelle et politique de Bucarest, je pivote sur moi-même. Je regarde. Les bâtiments délabrés de Bucarest, les géants, sont percés de trous de balle. Je sais bien pourquoi, c'est écrit dans mon guide. C'est que cette place s'est transformée en une sorte d'arène où se sont animés de violents combats lors de la révolution de 1989. Mais la désintégration, dont sont victimes les murs de la ville, ne se révèle que parce qu'elle déborde ce qui devait la dissimuler. Je parle des visages de Bucarest sur ces énormes affiches publicitaires. Ces images, souvent des visages féminins, à une échelle incroyablement grande, sont imprimées sur des tissus. Véritables revêtements de la ville, elles recouvrent les bâtiments laissés à l'abandon. Les images se passent toutes à la surface. Elles sont épidermiques dans tous les sens du mot. Sans perspective, elles n'inscrivent pas un espace en creux, elles n'ouvrent pas sur un autre monde, mais elles sont là, elles nous regardent. C'est l'espace de la ville qu'elles façonnent.

Image 1
Image 1- http://thbz.org/images/europe/roumanie2006/pub-mercedes.jpg

Il me faut peu de temps pour comprendre que la ville de la joie ( Bucuri   signifiant « joie ») n'a rien à voir avec Budapest. Je déambule dans les rues où les mélanges des styles architecturaux font émerger des anachronismes dont les images publicitaires offrent les décalages les plus percutants. C'est comme si on voulait refaire une beauté à la ville et que la solution était de répandre ces images de femmes dans leur perfection manufacturée proposant elles-mêmes des produits cosmétiques. Sortes de parements de tombeau, les affiches laissent ainsi pour morts deux séismes, une guerre et une révolution. Lorsqu'on s'y attarde, leur regard arrive même à faire taire la circulation automobile étourdissante et à dépeupler les trottoirs saturés. C'est ce silence qui m'interroge sur cette présence féminine, cette modalité de présence qui se révèle sur le mode de la façade, de la parure, mais aussi du pansement ou de la « patch ». En bonne historienne de l'art, je pense à Christo et Jeanne-Claude. En emballant le Port Neuf ou encore le Musée d'art contemporain de Chicago de matières textiles, les artistes arrivent à révéler la présence des bâtiments dans toute leur splendeur. Le tissu dissimule, dévoile, puis il fragilise. Seulement les étoffes de Bucarest portent des figures. Les visages se froissent ou se gonflent au moindre coup de vent pour rappeler le drap qui en est le support. Ils sont tournés vers l'espace urbain de sorte qu'il n'y a que leur présence qui subsiste.

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Image 2- Par Paule Mackrous

Après la domination d'un lourd régime politique, la ville se voit dominée par ces visages angéliques au regard évasif. Nouvelle capitale entrée dans l'Union européenne, Bucarest ne saurait dissimuler complètement la dictature de Ceaucescu et son programme de systématisation qui se révèle dans 3.5 kilomètres de bâtiments de béton. Une architecture qui me rappelle certaines prises de vue du film Brazil 2 de Terry Gilliam. Cette allée de monolithes mène vers le « Palais du peuple », deuxième plus grand bâtiment du monde après le Pentagone. En marchant dans les jardins Cismigiu, où des centaines de personnes se recueillent chaque jour pour se balader et profiter de la nature urbaine, je me dis que la tranquillité qui y règne tient presque du miracle. Je m'étonne des quelques établissements gays qui ont vu le jour récemment, du Musée d'art contemporain aménagé à même le palais de Ceaucescu et des bars branchés nichés dans les « ruines » de la vieille ville. Mais les visages, eux, continuent de m'interroger. Si, pour la Nord-Américaine que je suis, les balades dans les parcs et la vie culturelle grandissante m'apparaissent comme de beaux accomplissements, l'exposition à aire ouverte de visages féminins « photoshopés » ne me procure pas de bonnes résonances. Pendant qu'au Québec, des groupes féministes dénoncent depuis longtemps l'image de la femme-produit dans les publicités (une lutte qui est bien loin d'avoir atteint son but) 3, pour ce qui est des dimensions, les visages de Bucarest dépassent tout ce que j'ai pu voir auparavant. Elles me surprennent, m'intriguent, parce qu'elles me paraissent exagérées, sans pour autant me choquer. Je crois qu'on cesse de voyager lorsque l'esprit est immobile dans son lieu d'origine, alors que le corps continue de percevoir. Or, j'essaie de voyager. Juchées sur les bâtiments en hauteur, ces images féminines me sont visibles de partout, elles me hantent. De près, elles surplombent. Que penser de ces « anges » fabriqués qui nous regardent? Je crois qu'un petit saut dans la courte histoire féministe en Roumanie offre des pistes intéressantes à ces réflexions.

Pendant que le féminisme se déploie timidement et encore presque seulement par les voix académiques en Roumanie, le pays possède toujours le plus faible nombre de députés femmes de tous les pays d'Europe centrale et orientale. Au Congrès mondial des femmes, c'est toujours un homme que l'on envoie à titre de délégué. Mihaela Miroiu, philosophe et Fondatrice d' AnA 4, est reconnue comme l'instigatrice du mouvement féministe en Roumanie. Pourtant, elle a mis plusieurs années avant de se revendiquer comme telle, ce qui semble être le cas pour plusieurs d'entre celles qui luttent pour l'égalité des genres. Miroiu parle du féminisme en Roumanie comme quelque chose de « complètement exotique, comme une curiosité dont il faudrait conserver quelques spécimens dans un musée. C'est pourquoi en Roumanie le féminisme académique a un ascendant sur le féminisme militant. Il y a de plus en plus de monde impliqué dans les études genre ( sic ), mais beaucoup moins dans le féminisme militant.  5» Par ailleurs, le combat se situe dans un tout autre registre que celui que je connais comme Québécoise. Au moment où elle est entrée en contact avec la littérature féministe occidentale, Miroiu s'est sentie sur une autre planète. Les enjeux ne sont pas les mêmes : « Peut-être, si j'avais vécu à l'Ouest, serais-je devenue une écoféministe, mais vivant en Roumanie je ne pouvais pas me permettre le luxe de m'inscrire dans un mainstream occidental  6». Le féminisme marxisme ne pouvait satisfaire la philosophe qui a vécu sous le régime de Ceaucescu. À cette période de l'histoire roumaine, on peut y voir une certaine forme d'égalité des genres dans l'unique perspective de l'accès au travail. Tous et toutes peuvent travailler à un salaire égal. À ce sujet, Mihaela Miroiu croit que certaines femmes qui ont connu cette période tiennent toujours à leur autonomie financière. Elles ont été fortement touchées par la chute du régime puisque les secteurs dans lesquels elles travaillaient (textiles, agroalimentaire, services, commerce) ont été les premiers à être privatisés. Toutefois, la nouvelle génération serait, quant à elle, plus encline à croire que la réussite sociale ne se situe pas dans le fait de trouver un bon emploi, mais dans celui d'« avoir un mari riche 7 ».

Alors que l'enjeu le plus important pour les Roumains, après la chute du régime, est celui d'« installer la démocratie et mettre en place le capitalisme. 8 », que pouvait revendiquer la femme roumaine? Que peut souhaiter une femme ayant vécu sous la dictature de Ceaucescu, si ce n'est avant tout que d'accéder à ce qui m'est depuis longtemps familier et que je regarde sous un œil critique aujourd'hui? Miroiu croit que la révolution roumaine de 1989 signifie pour les femmes roumaines […] avoir accès à des produits de consommation dits «féminins » (parfums, maquillage), qui n'étaient pas accessibles auparavant. Les femmes ne revendiquaient rien de plus qu'une pause, et rêvaient de vivre, au moins une année dans leur vie, l'expérience des femmes au foyer de la classe moyenne occidentale […]. Les femmes de ma génération n'avaient pas eu cette alternative. Et c'est sur ce point-là que reposait l'incompréhension entre les féministes de l'Est et de l'Ouest.  9» . La philosophe n'est pas la seule à noter cet écart idéologique entre l'Est et l'Ouest. Daniela Roberta Frumusani, en comparant les productions médiatiques du Québec et de la Roumanie ainsi que leur interprétation remarque, du côté de la Roumanie, « […] un retour presque narcissique à la femme-femme, comme réaction à l'image insupportable de la femme à la grue ou au volant du tracteur, de même que le refus de visibilité, en tant que rejet de toute continuité avec les politiques communistes. 10 »   Sans vouloir calquer ces idées sur la profusion des images géantes, il y a peut-être toutefois, dans cette présence du visage féminin accolé à un produit cosmétique, quelque chose de libérateur. Je me dis alors que, si tous ces regards creusent un vide dans le mien, ils génèrent peut-être une tout autre sensation chez la femme roumaine. S'ils forgent, dans la place publique que je traverse, le silence de ces femmes, peut-être que pour la femme roumaine, ils emplissent cet espace d'une modalité de présence féminine rafraîchissante. Les images dissimulent un peu d'histoire tout en révélant l'accès, voire l'excès, à cette alternative dont parle Miroiu. Elles annoncent une femme moins travailleuse, cette femme qui a du temps pour s'occuper d'elle-même. Celle qui a le droit à la parure, celle-ci n'étant pas ressentie comme une prescription.

Si je ne vois presque plus les visages de Bucarest après quelques jours de ballade dans la ville, cela n'empêche en rien que ceux-ci me regardent et que, malgré leur fixité, ils me poursuivent jusqu'à Montréal. Car même en reléguant les images à leurs prétendues évidence ou banalité, « […] la plus simple image n'est jamais simple, ni sage comme on le dit étourdiment des images 11 »

Notes

1Georges Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde , Paris, Minuit, 1992, p.11.

2 Terry Gilliam (réalisation), Brazil , Grande-Bretagne,1985, 94 minutes.

3 Daniela Roberta Frumusani, « Le Deuxième sexe dans la société et les médias. Production et interprétaiton des messages médiatiques au Québec et en roumanie », http://www.danielaroventafrumusani.ro/accueil.htm, Consulté le 5 février 2008.

4 «  ONG lancée en 1992 comme centre de documentation et d'études féministes: http://www.zenskestudie.edu.yu/wgsact/romania/ro-ana.html. Elle édite la Revue d'études féministes AnALize, trimestrielle : http://www.anasaf.ro/romana/centrulana/editura/cop.html. Ana est le nom d'un personnage mythologique. Enterrée vivante dans la fondation d'un monastère, elle est la femme sacrifiée par excellence dont les féministes revendiquent la reconnaissance et la libération. » Explication tirée de : Réalisé et traduit par Iulia Hasdeu, «  E ntretien avec Mihaela Miroiu, fondatrice des Etudes Genre en Roumanie », Nouvelles Questions Féministes , Éditions Antipodes, volume 23/2 juin 2004, pages 88-96.

5Ibid.

6Ibid .

7Ibid.

8 Trossat Guylaine, « Les hommes ont privatisés la Roumanie » (Entretient avec Mihaela Miroiu), Journal Europa , Nantes, décembre 2007.

9 Iulia Hasdeu, Ibid.

10 Daniela Roberta Frumusani, Ibid .

11 Georges Didi-Hubermann, Ibid . ,p.67

On How Porn Can Teach Us All to Share :: Sophie Le-Phat Ho

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Broad CDS2, by Carly Delso-SaavedraBroad CDS2 Carly Delso-Saavedra, www.sharingissexy.org

Please note that the people answering these questions are part of SiS, but they don't speak for the collective, only for themselves.

First off, could you tell us what prompted this project and the form it took? Sort of give us more details about the origin as well as the (collective) process and so on?

Scruffy Eudora : SiS is an outgrowth, or a mutation, of radioactive sanDiego, The Rubber Rose, San Diego Indymedia, all the art and activism that we've been doing for the last few years.

Klm : I moved to SOCAL from NJ, and once here, I went on an intense search for a hot, sexually charged group of queer individuals to make art with, and partake in community.   What I discovered was a group of “sexy guerillas” who wanted to advocate change through radical porn.

The collective process is unique.   We use “informal consensus” to come to decisions about who will take off there clothes first, and who gets to wear the strap on, and who gets to be the fluffer.

Lotus : We began with a series of discussions and meetings about if and how we might make porn, and documenting them on our wiki. Then we started having porn watching nights and discussing what we were watching, critically, deciding what we like and what we don't.

A major concern of mine from the beginning has been to try to maintain an open and accessible collective, for example, by using accessible language when introducing people to the project and by trying to maintain an environment where people feel like they can ask questions because we're all learning and experimenting.

Also, as with many collectives, we've had new people join and old collective members move away in the year we've been working on the project.

Angelbeast : I had never paid much attention to porn, mainly because it didn't seem to represent me and my sexuality. I have never found myself turned on by the porn I have seen. In turn, that created almost a distaste in me for pornography in general. When Suicide Girls came to be, I was briefly excited – there was an alternative that fit into my sexual desires. Body modification is one thing I find quite appealing. However, that seemed to be one of the only alternative things I found to be different from the mainstream porn I had been exposed to. I have recently been checking into what types of free porn exist on the Internet and, still, I haven't found anything that I feel is a fair representation of my type of queer. So yeah, I'm the most recent addition to the collective, a collective that represents many aspects of my desires and of my sexuality, and I have found it to be amazingly empowering to be able to put my sexuality out there.

Mel : I wasn't involved in the start of the project/collective. My beginning was prompted by a need for getting involved in something new and not so politically based. It was something that fit into what I'm interested in: sex, change and equality. Also, it gives me the opportunity to focus on a passion that I've had to keep on a back burner for a long time: photography.

Your manifesto starts with "we are sexy guerillas". What is/are the "war(s)" you are referring to here? And what's sex got to do with it?

Mel : I don't see this as a largely political based project. Therefore, I don't see us having a manifesto. We are a group of random people who are sexy, perverted and radical. I focus more on the equality of all types of people in sex and the sex industry, and putting a stop to the so-called taboos of sex. There are no taboos, just what gets us off; really we all fuck and we all like it. My involvement is to show people that sex is good, fun, diverse, and not a shameful act – and that porn should show all types of people of all walks of life.

Angelbeast : I'm in this, doing this, because I advocate sex positivity and gender fluidity. I want to appreciate variations in body type, skin color, gender, gender fucking. I want to be turned on by what I'm participating in and I want others to be turned on by my participation.

Scruffy Eudora :   I don't know what the shit this means.

Klm : It has nothing to do with sex, but everything to do with love. SIS is about spreading the love via the worldwideweb to hot sexy bois and grrrls.

We really aren't guerillas. We're lovemonsters. And it isn't a manifesto, it's a quick blurb.   And I'm not into destruction. It's all about creation. Down with the man.

Masturbate to me fucking myself with a bike seat. I love you, don't you get it?

Lotus : We don't have a manifesto. I don't want to manifest, but to un-manifest, to shapeshift, to slip away. With SiS, I want to conjure images that are confusing, that disrupt your conception of a guerilla, a rebel, a sexy person, a boy or a girl.

In one way, yes, there is a war going on, as people around the world suffer violence everyday because of their genders and sexualities. If I think there's a war, it may be because I live in the borderlands, where the rhetoric of war is all around me and the military jets and helicopters fly overhead everyday. If there is a battle I'm fighting, perhaps it is the battle for fluidity and against rigidity, against the lines and categories that people are trying to enforce on the world.

I'd so much rather have sex than fight a war, and so, I'm much more excited by summoning and casting new worlds, with all the people who want to join in that space of the shaman, the ritual of sex, in-between worlds, shaping new ones.

J-late-at-nignt-h, Don J.J-late-at-nignt-h, Don J., www.sharingissexy.org  

You also mention "we like our anonymity and try to maintain it [...]". How do you explain and/or negotiate the tension between the desire for anonymity and the drive for display and the proliferation of images, as modulated by Web 2.0 commercial sites of social networking (and surveillance)? How do you see the role of FLOSS, open source, copyleft and so on within this tension?

Klm : I'm a pornstar. Really, that's how I see myself. I take off my clothes and take sexy photos, perhaps videos. I have a porn name and a MySpace page. I guess that complicates things like anonymity.

Angelbeast : The first thing I did when my first set was posted was to text and to email almost everyone I know. I found it to be a totally liberating experience to walk through campus, at work or just out and about, knowing that I was a part of something that is everything I am and everything I want. I'm completely uninterested in perpetuating a feeling within me that encourages shame for expression of my sexual being. There is a choice on my part to maintain a certain level of anonymity, such as my social security number and address and so forth, but participating in SiS has given me an opportunity to be ‘out and proud'. This is me, and this may be you, and sharing ourselves is sexy.

Scruffy Eudora : I'm struggling with this question of anonymity. There was a time when I was worried that getting tattoos would make it difficult for me to get jobs in the future. I don't worry about that anymore. I do porn now with hopes of exorcising a similar fear.

Mel : With all walks of life come all walks of dangers. I mostly see anonymity in this time of our lives as a necessity for our safety. In regards to the project/collective, I see anonymity as something that can't be defined in the confines of our subject matter; we have no specific name, ideal, or type of porn.

Lotus : On the website, I don't use my real name because I know that in our society, there are people with bad boundaries who may want to look me up and come visit me after jerking off to my images, and I might not want them showing up at my front door.

The issue of anonymity for porn performers is nothing new, and so in a way, whether it is in a magazine or on the web, there is still a need for people doing erotic performance to protect their personal space.

MySpace is probably the place where I think I'm least anonymous. Putting our latest photo shoot up on our website is one thing, but sending out a bulletin to all of our friends, in MeatSpace, where my personal MySpace page is linked to SiS, worries me, because I wonder if my sister or niece are going to see the bulletin and go look at my photos.

I see the open source license on our images as one thing that makes the images more accessible because people are free to reuse them. So when I have gone to another website and seen my image posted there, it makes me feel happy, but also a bit nervous. Still, there is a fine line between having the images online at all and encouraging people to share them legally. People take photos from websites and reuse them all the time. Mostly, I see the Creative Commons license we use as a way of challenging the commodification of my photos. In a way, online space is separate from offline space, so I realize that I'm less anonymous to all the people around San Diego who know me and who've seen the images, but more anonymous to visitors to the website from the Netherlands, Spain and New York.

In a way, I see SiS as exploring online social networking outside of the limits of sites like MySpace and Facebook. On SiS, I have a profile and images of me, but the content of those images would never be allowed on MySpace or Facebook.

Finally, what is porn? And what would you qualify as "good porn"? Also, you make it clear that one of your aims is to inspire positive attitudes and actions. Could you detail how this can be achieved via SiS? In turn, what inspired and inspires you?

Klm : “Good Porn” can be found at www.sharingissexy.org. I mean, have you seen the site? Who wouldn't have a positive attitude watching a person fuck herself with a bike?   That shit's flippin' hot.

The math is simple. Radical queer bodies – clothing = change.

I'm inspired by the beautiful individuals that compose SIS.   You lovemonsters make me wet.

Scruffy Eudora : I think this question of what would qualify as good porn is interesting. I've been thinking about it a lot lately. I just heard Nguyne-Vo Thu Huong speak at UCSD (University of California, San Diego) and one of the things she said was: "I can't produce an essentialized truth to counter a construction." That applies to this question in that to define porn as good or bad would be an attempt to make an essential truth. I don't think the categories of good and bad can be applied to porn because in so doing, you silence certain stories, you exclude certain perspectives. I think you can ask how porn functions in society and you can ask if it is ethical. The things that come up for me in terms of it being ethical deal with the way it was produced. To me, something done ethically has to be done with justice and oppression in mind.

Mel : Porn is the explicit depiction of sexual subject matter, especially with the sole intention of sexually exciting the viewer. What makes good porn is something I can't answer as a general statement. Honestly, I have no clue what makes good porn. Porn that gives me a hard on is good porn... to me.

Lotus : Porn is such a huge category that it is almost impossible to define. It seems to me that porn might be defined as content which is intended to create arousal in the viewer, to activate the body in a way.

I see SiS creating positive actions on a few levels. One is at the level of our collective, where I'm trying to participate in creating a space where we can all feel sexy and feel appreciated. Another level is at the level of the viewer, where I'm hoping that someone might see my photos and think differently about transgender people, hopefully opening up to new possibilities of how they see them. Barbara Hammer talked about how she didn't "come out" until she was thirty, because she didn't even know the word "lesbian." I had a similar experience of not having an understanding of “transgender” until I was thirty. Another is at the level of discourse, where I hope that we can challenge the religious conservativism in this country and the lack of open, honest dialogue about sex.

I am inspired by Carolee Schmeeman, No Fauxxx, Annie Sprinkle, Orlan, Deleuze and Guattari, Violet Blue's blog "open source sex", Compartir es Bueno in Spain, Girls who Like Porno in Madrid, the EZLN, Ricardo Dominguez, Hardt and Negri, the Piquiteros in Argentina, squatters around the world, people in resistance everywhere and most importantly, my friends and lovers, and all the people in SiS.

Angelbeast : For me, good porn is something that I relate to, get off on, appreciate. I recognize and respect that each individual has a different idea of what ‘good porn' is. SiS is my type of ‘good porn', and I'm guessing there are others out there that feel the same. I am also guessing that, just like myself, there are others out there that will find a new appreciation for themselves and their sexuality by discovering SiS. Whether one decides to join the collective or explore the images available through SiS, I have hopes this will help expand sexuality, or the ideas of sexuality as a whole.

So what's next for SiS and how can Montreal folks get in on all that sharing?

Lotus : Klm and myself will be presenting some of the work of Sharing is Sexy in Montreal between March 25-30 th , 2008. We don't have the exact date or location yet, so check our website for the details!

Klm : I'm down to travel. I've always wanted to see Portugal, but Montreal will work for now.

Oh, and did I tell you I love you.

Sis Winter Wonderland 9-1, Don J. Sis Winter Wonderland 9-1 , Don J., www.sharingissexy.org  

Ce papier n'est pas moi :: Esther Guzman dite lolagouine

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Genderpoo, par lolagouine
extrait du clip vidéo Genderpoo, par lolagouine

Ce papier n'est pas moi : mon passeport, mon permis de conduire, mes diplômes, attestations et autres papiers servant à m'identifier.

La contradiction : tandis qu'on accuse les groupes identitaires des ghettos créateurs d'étiquettes et qu'on prône la libre circulation de l'argent de la main de riches d'ici aux poches de riches d'ailleurs, les êtres humains sont mis dans des cases conceptuelles et enfermés dans des espaces géographiques définis par l'état et la société bien-pensante.

En effet, on se sert de plus en plus des papiers (en vrai papier mais aussi des papiers virtuels) pour enfermer les gens à tout jamais en leur imposant un nom, un sexe, et une nationalité (sans parler des oppressions qui peuvent découler des photos et descriptions physiques : race, taille, « handicaps », canons esthétiques).

À partir du moment où à ma naissance, quelqu'un qui n'est pas moi remplit ces cases me concernant (par exemple, mon sexe : masculin OU féminin), je suis, aux yeux des autres et de la société, ce que le papier dit que je suis, le papier précédant et influant ma propre construction identitaire.

Ce papier n'est pas moi, il est une textualisation violente de certaines des oppressions que la société exerce sur moi 1.

Sur le papier, la société hétéropatriarcale   détermine et fait passer le message de qui je suis : elle me racialise, me genrise, me donne un statut (le non-statut est un statut en soi).   Le papier, en disant que je suis une femme, me transforme en femme chaque fois que je le montre, peu importe mes désirs, mes apparences et mon choix de vie ; il montre des personnes comme des « minorités visibles » quand en réalité c'est la majorité de la planète. C'est pour cela qu'on peut dire que le papier est un outil performatif : il ne nomme pas une réalité existante en dehors de lui, il crée cette réalité en la nommant. Un exemple canadien : les procédures découlées de l'Indian Act. Le Gouvernement canadien mesure « l'indianité » des personnes en pourcentage. On peut être plus ou moins Indien si notre père est x% Indien et notre mère y% Indienne et notre grand-père z% Indien et…et…À la fin on fait le calcul correspondant, et si vous avez bel et bien plus de k% de sang indien reconnu, on vous donne votre carte d'Indien et vous avez droit aux programmes pour les Indiens qui servent à laver la conscience du gouvernement canadien. Si vous n'avez pas le pourcentage exigé, vous n'êtes point Indien, même si vous savez que vous l'êtes 2.

Avec les papiers on a deux possibilités :

- soit on a des papiers qui savent mieux que nous qui on est, comme les Indiens non reconnus ou comme les transexuelLES qui se font refuser leur changement de sexe sur les papiers.

- soit on n'a pas de papiers et alors on n'existe pas : on se noie dans l'indifférence totale dans des barques traversant vers l'Europe, dans des centres de détention à Laval.  

Celui/celle qui n'a pas de papiers n'existe pas, celui/celle avec la « mauvaise » nationalité et la « mauvaise » classe est tout de suite renvoyéE. Celui/celle qui s'auto-identifie en contradiction avec ses papiers (transgenres, transexuelLES et autres) est rappeléE à l'ordre par les autorités éducationnelles (faussement appelées éducatives), médicales et policières.

Les perversES, les sans-papiers, les non-blancHEs, et tousTES ceux/celles qui sont soumisES à l'ordre « male, pale and Yale » 3 qui régissent nos sociétés, nous tousTES, devons lutter contre cette construction monolinguistique 4 qui n'accepte pas des constructions autres, des savoirs autres, des langages autres, plus imaginatifs, plus locaux, plus autogérés, plus vrais car plus proches de nos expériences.

Mon papier préféré est mon passeport. Sur lui, mon sexe apparaît comme M-F (masculin-féminin). De quoi lire que je suis une trans MtoF (Male to Female) ou que je ne suis ni l'un ni l'autre, ni M ni F ou que je suis peut-être le tiret entre les deux. Un vrai passeport queer ou intersexe. C'est en se fondant sur mon cher passeport qu'Immigration Canada m'a catalogué comme « Mâle » sur ses banques de données. Permis de travail, sécurité sociale, assurance maladie… J'essaie de changer l'erreur (moi, ça m'est égal mais je sais qu'un jour quelqu'un va me poser des problèmes quelque part) et je vais aux bureaux pertinents. Je me présente ainsi devant les personnes en charge. Et je leur dis, « il y a une erreur sur mon permis de résidence ». Ils regardent mon passeport, ils me regardent moi avec mon look plus ou moins androgyne (ça dépend des jours). « Il n'y a pas d'erreur, c'est ce qui est marqué sur votre passeport ». Point final.

Mes connaissances trans et queer sont surprises et jalouses de ce changement gratuit, rapide et indolore de sexe sur mes papiers. Si le petit tiret sur mon passeport était source de questionnements autour de la reconnaissance des droits de personnes transgenres et transexuelles en Espagne (j'ai un passeport espagnol), mes papiers canadiens ne font que prouver l'illogisme blessant du système. Ayant obtenu ce changement pas hasard (ou ignorance), je n'ai pas eu à subir ce que des personnes trans ont à subir. Pour tout changement sur les papiers, de sexe, mais même de nom, l'individu est obligé de se justifier et de lutter pour se faire entendre.   N'oublions pas que le changement de sexe sur les papiers n'est point un caprice : il s'agît de la reconnaissance de la liberté de tout individu sur son choix de vie. Le droit d'être qui on est. Le refus de changer le sexe sur le papier des personnes transgenres ou transexueLES est un crime qui s'attaque tous les jours à la santé mentale et physique et au bien-être de la personne concernée.

Pour revenir à mon passeport. Ce n'est point ni un passeport queer ni un passeport intersexe. Mon M-F indique que je suis doublement cataloguée en tant que Mujer (femme en espagnol) et Femme (au cas où la M amène à des confusions). Or, dans la rue et dans les bureaux d'immigration, les confusions persistent. Au quotidien je me fais demander si je suis un homme ou une femme (les toilettes étant devenues un lieu d'inquisition constante). Mon passeport n'est pas d'une grande aide pour prouver que de toute façon je serai toujours dans les bonnes toilettes. Je ne peux pas me tromper car, moi, je sais qui je suis. C'est le système hétéropatriarcal qui crée des règles de jeu qui sont impossibles à ne pas briser. Car ce système, avec son manque d'imagination meurtrier et ses envies d'exclusion, ne tient pas compte des complexités, des différences, des nuances, des créations, du malléable, de ce qui est en développement.

Moi, je serai toujours dans les bonnes toilettes.

Subvertir, changer, modifier, jouer avec les signes, sont des tactiques multiples qui permettent de rendre visible l'aspect illogique, aléatoire, stupide et dangereux des classifications entre les êtres humains, et les hiérarchisations qui en découlent.

La subversion d'un système qui donne plus d'importance à des papiers qu'aux personnes est nécessaire, car ce qui se cache derrière ces feuilles ce sont des systèmes politiques de contrôle et d'oppression. Si la destruction du système n'est pas pour demain, la subversion est présente   ici et maintenant pour chaque personne qui habite un pays qui ne veut pas d'eux, qui revendique une diversité d'origines et de couleurs, qui s'identifie à un autre ou à aucun genre, qui invente leur propre langage, qui travaille en traduisant, superposant, tricotant tous ces langages ensemble.

La société se heurte au fait indéniable qu'on respire, qu'on vit et qu'on choisit sa propre existence. Qu'on vit   au de-là de ses murs, aux frontières, et que c'est dans les frontières qu'on apprend à résister au système monolithique, en lui opposant une multitude de réalités et de langues qui s'entremêlent entre elles 5.

Genderpoo, par lolagouine
Genderpoo, par lolagouine
extraits du clip vidéo Genderpoo, par lolagouine

Clip vidéo Genderpoo, par lolagouine  :
http://www.youtube.com/results?search_query=genderpoo&search=Search

Notes

1  Appropriation personnelle de l'analyse, à partir des textes d'Edward Said, de   Quentin Kayne “The Indian Act is the historical construct of bureaucrats and academics to reflect colonizing norms and ensure European supremacy through (violent) textualization.”   ( Postcolonialism and First Nations in Canada http://www.athabascau.ca/courses/engl/423/archive/kayne_postcolonialism.html)

2 Bien que d'habitude j'utilise le terme « Autochtone » ou « First Nations » , j'ai voulu reprendre le terme « Indien » tel qui apparaît sur les « Indian Card » que j'ai pu avoir entre mes mains. C'est à noter que certains services québécois ont changé le terme « Indien » pour  « Autochtone » dans leurs formulaires. On se demande quand on va aussi changer la situation d'exploitation et génocide actuelle.

3 Je n'ai pas trouvé l'origine exacte de cette formule, mais elle est souvent associée à des auteures féministes et/ou queer post-colonialistes et de l'intersection comme Gloria Andalzua, bell hooks et Barbara Christian.

4 À partir du texte   Saberes Vampiros par Beatriz Preciado (en français: http://www.hartza.com/vampires.htm)

5 À propos de cette notion de frontière,   Gloria Andalzua a beaucoup traité ce sujet dans tous ses textes, mais spécialement dans La frontera/Borderlands.

Biographie

Esther Guzman dite lolagouine : illustratrice et graphiste queer et féministe, je travaille pour de différents groupes et publications militantes tels que Shameless et PowerCamp. En même temps, je suis très présente dans la scène de zines (petites publications autogérées et indépendantes) queer et féministe en produisant depuis des années mon zine « Il pleut des gouines » (ilpleutdesgouines.blogspot.com), distribuant plus d'une centaine d'autres zines et en offrant des ateliers autour des questions queer et féministes et des techniques d'auto-édition.   De nationalité espagnole, j'essaie d'avoir mes papiers pour rester à Montréal. Mon pseudonyme, lolagouine , fait référence à mon origine culturelle et à mon militantisme queer .

À propos de Genesis de Eduardo Kac :: Lorella Abenavoli

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Est-il possible de donner une représentation artistique d'objets si petits que nous ne les percevons pas par nos sens? En d'autres termes, la figuration, peut-elle encore être opérante dans une oeuvre d'art, si l'objet représenté n'est pas perceptible? Le public peut-il ainsi estimer la valeur de l'interprétation artistique s'il ne peut comparer son propre regard et celui de l'artiste? En effet si le public ne connaît pas l'objet d'origine qui a inspiré l'artiste comment peut-il lui-même voir et penser ce que l'oeuvre lui montre? Comment peut-il comparer, estimer, jouer, réfléchir, en somme, comment peut-il voir cette oeuvre? Ce sont d'abord ces questions qui nous ont mené à interroger l'oeuvre d'art transgénique 1 de Eduardo Kac, Genesis, installée au Musée des beaux-arts de Montréal à l'automne 2007, dans le cadre de l'exposition e-art, pour les dix ans de la Fondation Daniel Langlois pour l'art, la science et les technologies.

On entre dans une grande salle voûtée 2, très haute sous plafond, dont la couleur dominante est un bleu profond et intense rappelant un ciel nocturne. Face à nous, sur le mur du fond, se dessine une gigantesque lune, une sorte d'image issue d'un microscope, ronde et lumineuse. Sur les murs des textes et des signes blanc-bleutés irradient. Sur l'un d'entre eux, une phrase en français évoquant les oiseaux, les poissons et les animaux rampant sur la Terre; sur un autre, un texte en morse et sur le troisième une série de quatre lettres constitue un texte de plusieurs lignes, hermétique. Au centre de l'espace, un socle recouvert d'une vitrine en verre renferme un dispositif lumineux. On aperçoit, tout de suite sur la gauche en entrant, un ordinateur sur lequel est inscrit :

  « Please, click button on the left to mutate bacteria »

Je m'apprête à cliquer afin de “mutate the bacteria”; alors la grande lune-boîte-de-petri projetée sur le mur s'éteint. La bactérie est-elle en train de muter pendant ce temps-là? Elle se rallume. Je suis rassurée, j'ai cru que j'avais fait une bêtise. Mais soudain, sans que je n'ai rien fait, la projection s'éteint à nouveau! Et ainsi de suite de façon périodique. Je comprends assez rapidement que la projection lumineuse sur le mur du fond est l'image du dispositif placé au centre de l'installation. Je tente de voir la bactérie : c'est l'objet de ma visite… voir l'invisible. Je ne vois que des taches de gélatine, cependant je réalise à ce moment-ci que je ne sais même pas ce qu'est une bactérie! Que suis-je en train de chercher à voir?   

Genesis perspective
1- Genesis perspective de Lorella Abenavoli

Genesis plan
2– Genesis plan de Lorella Abenavoli

Comment s'organise spatialement et symboliquement l'espace de cette installation ?

On peut voir dans les documents ci-joints l'organisation spatiale grâce d'une part aux esquisses et d'autre part aux textes qui apparaissaient sur les parois de la salle. Cet espace est très solennel : organisé selon une symétrie autour de l'axe longitudinale de la pièce, il évoque l'espace d'une église; la projection circulaire sur la paroi du fond ressemble à une rosace, les axes de déplacement et de lecture organisés selon la forme d'une croix, l'espace recouvert d'une voûte en berceau. Enfin, cette atmosphère obscure baigne dans un son synthétique constitué de courtes nappes sonores s'entrecroisant, hypnotiques. J'observe le reste de l'installation et en particulier les textes sur les murs.

« Que l'homme domine les poissons, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur terre ».

C'est le seul texte relativement signifiant et accessible. Cette phrase me semble anachronique, sortie tout droit d'un péplum américain. Toutefois elle nous dit autrement que lorsque je clique sur l'ordinateur et que je provoque la mutation d'une bactérie, je domine la création, à l'échelle du gène 3. Cette phrase semble orienter mon geste et celui de l'artiste qui met en scène la domination de l'homme sur le vivant.

Ce fragment de texte tiré du premier chapitre de la Genèse, est en fait extrait d'un verset plus long : « Dieu dit enfin : Faisons les êtres humains : qu'ils nous ressemblent vraiment ! Qu'ils soient les maîtres des poissons dans la mer, des oiseaux dans le ciel et sur la terre, des gros animaux et des petites bêtes qui se meuvent au ras du sol !  Dieu créa les êtres humains à sa propre ressemblance ; il les créa homme et femme. Puis il les bénit en leur disant : Ayez des enfants, devenez nombreux, peuplez toute la terre et dominez-la ; soyez les maîtres des poissons dans la mer, des oiseaux dans le ciel et de tous les animaux qui se meuvent sur la terre. 4 » Si l'extrait choisi par Eduardo Kac, laissait un doute sur sa signification, le verset dans son ensemble explicite assez clairement le rôle assigné à l'humain sur la terre, telle que la Bible l'exprime et telle qu'elle constitue notre héritage culturel, en œuvre aujourd'hui dans tous les domaines de la science et en particulier dans la génétique dont il est question dans cette œuvre. Cet héritage serait-il aussi à l'œuvre en art ?

« L'ADN Genesis conçu par Eduardo Kac : un gène synthétique produit en traduisant en code morse une phrase tirée du livre de la Genèse, puis en convertissant ce code en paires de base d'ADN conformément à un principe de conversion élaborée expressément pour le projet. Le gène a ensuite été exprimé dans une bactérie E. coli 5. Par le truchement d'internet   (et d'une station informatique dans la galerie), les visiteurs peuvent allumer une lumière ultraviolette qui fait muter la bactérie. Peu à peu, en retour, la phrase de la Bible, elle aussi va muter. 6 »

On identifie ici, le jeu de mot savant, Genesis, associant la bible et la biologie, renvoyant au gène, sujet et objet de l'œuvre, puisque ce qui est « créé » et transformé ici, c'est le code génétique d'une bactérie. De la genèse religieuse et historique à la genèse biologique, Eduardo Kac, expose, joue et interroge notre rapport au vivant et notre capacité à intervenir à une échelle microscopique du vivant dont nous ne pouvons mesurer les effets car nous ne les voyons ni ne les prévoyons.

Cette œuvre est-elle une critique ouverte de l'héritage culturel occidental?

Elle apparaît tout d'abord ambivalente. Car si elle semble interroger une facette de notre culture simultanément elle la sacralise par la mise en scène du dispositif organisé autour de ce « vivant » invisible, la bactérie.

Schéma d'Eduardo Kac

3- Schéma d'Eduardo Kac tiré in Gagnon, Jean et Bondil, Nathalie, e-art, les vases communicants, nouvelles technologies et art contemporain, dix ans d'action de la fondation Langlois, catalogue d'exposition, Musée des beaux-arts de Montréal et Fondation Langlois, 2007.

Revenons aux questions posées en introduction. Qu'est-ce que cette oeuvre « montre »? Au sein de l'installation que regardons-nous ? Peut-on dire que cette oeuvre parle du « regard » de Eduardo Kac ? Est-ce que le dispositif qui est élaboré ici joue avec la perception ?

Malgré la projection agrandie de la boîte de Petri, Eduardo Kac laisse la bactérie dans le champ de l'invisible. Il fait appel à notre foi ou à notre crédulité. Cependant, même s'il n'y avait pas de bactérie dans la boîte de Petri, sa « démonstration » serait opérante. Que nous dit cette œuvre ?

Elle nous dit d'abord, que public ou citoyen, nous participons à la modification du vivant. Nous devenons acteurs, « observateurs » et complices de l'artiste-démiurge qui a créé une bactérie. L'interactivité, qu'elle soit, ici, réelle ou simulée, semble avoir pour objectif   de nous faire prendre conscience des transformations que nous pouvons opérer sur le vivant. L'artiste apparaît ici comme celui qui questionne grâce à une association d'images polysémiques. Ce que je nomme « images » ici, c'est l'ensemble des éléments qui constituent l'installation : projection, textes, vitrine centrale, ordinateur. C'est, en effet, la confrontation de ces images qui constituent l'œuvre. Elle nous dit ensuite que le médium dominant n'est ni le dessin, ni la matière mais le verbe. Le verbe fait image et c'est lui qui ouvre la signification de l'œuvre. Cette œuvre est une question politique. Elle ne convoque pas la perception mais elle s'adresse à l'intellect et à l'intelligence, par le verbe et par la connaissance qu'elle requiert pour être interprétée. Elle s'inscrit ainsi dans la lignée des œuvres conceptuelles mais aussi, à d'autres égards, dans la tradition occidentale des œuvres de l'art religieux qui interprètent le texte biblique « (…) cette combinaison de science, de religion et d'art n'est pas quelque chose de neuf, indique Eduardo Kac. C'est même une constante. Pensez à la peinture italienne du XVIème siècle. Le sujet était le plus souvent religieux. La technique était scientifique, l'utilisation de la perspective. L'approche était artistique. De la même façon Genesis rend compte de l'interconnection fine entre ces trois domaines de la pensée humaine. 7»

À peine avais-je fini ce texte, que je reçois une réponse à la question posée à l'un des deux commissaires, Jean Gagnon : « y avait-t-il réellement une bactérie avec un gène modifié  dans cette installation? » Oui, il y avait réellement une bactérie avec un gène modifié dans la boîte de Petri, une bactérie renouvelée chaque jour! Mais en plus d'apprendre cela, il me confirme que dans la projection murale on voit très clairement la bactérie !!! Je reprends donc et conclus mon analyse avec cette nouvelle information.

Eduardo Kac a donc rendu visible la bactérie par un simple agrandissement au microscope, mais je n'ai rien vu, car je n'avais pas le bagage conceptuel pour la voir. Cela étant dit, même si j'avais identifié la bactérie dans sa gélatine, sa représentation médiatisée par le microscope, ne m'aurait pas permis de voir la vision subjective de Eduardo Kac. Car sa vision s'exprime par la juxtaposition du verset biblique, associée à ses diverses transformations codées qui renvoient métaphoriquement à une transmutation du verbe en matière vivante. Ce qui me donne à penser, c'est bien l'écart et le jeu entre l'image de la boîte de Petri projetée et les textes autour d'elle, qui ouvrent ensemble la signification de l'œuvre. Cependant l'authenticité de la bactérie modifiée, réduit la question éthique que pouvait soulever ce travail. Si le propos d'Eduardo Kac était de questionner notre rapport éthique à la génétique, pourquoi imiter la science en agissant dans le vivant? C'est bien l'invisibilité de la bactérie et donc son absence de représentation tangible ou visible qui laissait ici le bénéfice du doute et qui forçait le questionnement et la spéculation intellectuels ainsi que l'interrogation politique. Si je ne présupposais pas de l'athéisme de Eduardo Kac, je pourrais penser que cette œuvre est une illustration du verset biblique et que l'artiste adopte ici le rôle assigné par la bible aux humains. S'il est vrai que la frontière entre l'inerte et le vivant est devenue avec le XXe siècle fort ténue, voire impossible à délimiter, le travail d'Eduardo Kac affirme que le medium de l'artiste peut devenir le vivant, qui plus est, le patrimoine génétique, c'est-à-dire l'unité élémentaire de l'hérédité de tout organisme. Cette œuvre questionne décidément de façon irréversible, rattrapant ainsi la science, l'éthique dans la pratique artistique.

Notes

1 Voir : http://www.ekac.org/transgenic.html, " Transgenic Art ", first published in Leonardo Electronic Almanac (ISSN 1071-4391), Volume 6, Number 11, 1998

2 Voir dessins de Lorella Abenavoli.

3 «  Définition : Séquence ordonnée de nucléotides qui occupe une position précise sur un chromosome déterminé et qui constitue une information génétique dont la transmission est héréditaire.

Note(s) : Les gènes correspondent le plus souvent à une portion d'une molécule d'ADN (ou parfois d'ARN, s'il s'agit d'un gène viral); ils possèdent la capacité de se répliquer et sont susceptibles de subir des mutations. Les gènes représentent les unités physiques et fonctionnelles élémentaires de l'hérédité. L'ensemble des gènes d'un organisme constitue son génome.

Le terme gène est un terme très général qui est le plus souvent remplacé, dans la documentation spécialisée, par un terme plus spécifique selon que l'on désire parler des fonctions du gène, de son rôle ou de sa localisation .” http://www.granddictionnaire.com/btml/fra/r_motclef/index800_1.asp

4 La bible, ancien et nouveau testament, 1 ère ed., Paris, ed. Alliance universelle biblique, 1983, 404p. ISBN 2 85300 120 2 – FC DC H 052 (1020)

5 Définition : Espèce bactérienne appartenant à la famille des Enterobacteriaceae et dont les principaux caractères sont la mobilité et l'absence de coloration par la méthode de Gram.

Note(s) : Escherichia coli fait partie de la flore normale du tube digestif de l'homme et des autres mammifères. Il représente l'espèce dominante de la flore fécale aérobie. Bien que généralement non pathogène, il peut acquérir une grande virulence. Sa présence dans l'eau ou le sol est un indicateur de contamination fécale. Ce bacille est responsable d'infections intestinales et urinaires, de suppurations, de syndromes cholériformes, de septicémies et d'infections variées. http://www.granddictionnaire.com/btml/fra/r_motclef/index800_1.asp

Le terme colibacille et son équivalent anglais colibacillar sont les appellations courantes d' Escherichia coli .

6 Gagnon, Jean et Bondil, Nathalie, e-art, les vases communicants, nouvelles technologies et art contemporain, dix ans d'action de la fondation Langlois, catalogue d'exposition, Musée des beaux-arts de Montréal et Fondation Langlois, 2007, ISBN 978-2-89192-317-0

7 http://www.ekac.org/scienceetav.html, Ratel, Hervé, art. L'Art trangénique, Sciences et avenir, déc. 1999, pp. 66-67

Biographie

Lorella Abenavoli est sculpteure. Elle vit entre la France et le Canada. Depuis 1996, elle se consacre à la sculpture sonore. Sa recherche est basée sur la captation et la transformation des flux intérieurs de la Terre, des arbres, du corps, du cosmos etc. constituant une poésie sonore du vivant. Elle travaille avec des institutions scientifiques avec lesquelles elle a réalisé un logiciel de création sonore. Elle est boursière de la Fondation Daniel Langlois pour son œuvre le Souffle de la Terre. Elle a travaillé et exposé à l'Ircam, au Fresnoy, au FRAC de Metz, en septembre dernier à la Maison Européenne de la Photographie à Paris et travaille maintenant la création sonore pour la danse. Enfin elle fait son doctorat actuellement à Montréal à l'UQAM autour de la question du son dans les arts visuels.

APPEL DE TEXTES .dpi no 12 ::

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No 12_ Détournement de technologies mobiles vers des propositions artistiques.

(mai 2008)

Rédactrice en chef invitée : Myriam Yates

Dans ce dernier numéro de la revue qui clôt le thème de la mobilité, nous aimerions nous pencher sur les œuvres qui se déploient à travers et grâce à des technologies qui favorisent la mobilité ou encore, des œuvres qui les utilisent comme sujet. De la simple caméra vidéo aux téléphones cellulaires, au système GPS, Ipod, BlackBerry et lecteurs DVD portables, qu’est-ce qui émergent des propositions artistiques abordant ces nouveaux médiums? Comment s’inscrivent ces projets dans la sphère sociale et artistique? Ou encore, face à une industrie du divertissement (jeux en ligne ou sur téléphones cellulaires) qui génère une économie importante, comment un projet artistique peut se concevoir, se positionner ou tirer partie de cet univers lucratif et ludique.

Résumé d’une intention de texte (100 mots) accompagné d’une courte biographie (100 mots) pour le 22 avril 2008.
Tous les types de textes sont bienvenus (essai, critique, entrevue)
Texte final (de 1500 à 2000 mots) pour le 15 mai 2008.
Un cachet de 150$ pour le texte final sélectionné est prévu.

Lancement de la publication en ligne au début juin.

Envoyer vos textes à: mypal at sympatico.ca et en copie conforme
à : chantal at studioxx.org

Protocole de rédaction : http://dpi.studioxx.org/?s=Protocole

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#2 Chronique féministe: intimité(s), identités et surveillance

.Dpi propose d’explorer les frontières réelles et imaginaires, qui modulent les rapports sociaux, et la transgression de ces frontières (lignes de conduite, marqueurs de la marge, indicateurs binaires, passages, souterrains, bornes, cadres, lisières) par des femmes.

Pistes de réflexions et idées à développer:

  • la politisation des sexualités
  • les sphères d’investissement des femmes et les attentes sociales envers elles (public/privé, finances, travail, maternité, loisirs, etc.)
  • l’identité rebelle de certaines femmes ou groupes de femmes face à leur stigmatisation
  • l’emprisonnement des femmes, par exemple, les liens entre l’intimité des femmes, leur identité de «criminelle» et le contrôle social exercé à leur endroit, allant jusqu’à l’incarcération
  • l’itinérance des femmes au sens large: les multiples configurations du «chez soi», la précarité des conditions de vie des femmes et leurs stratégies d’empowerment face au système
  • le décloisonnement des sensations par l’art, son apport à la mobilité du «soi»
  • la récupération esthétique de la marge par la mode/la normalisation des images corporelles et des corps
  • les expériences cosmopolites
  • les travailleuses du sexe migrantes et le discours sur le trafic des femmes ou femmes et migrations de manière générale
  • la fluidité marchande et la restriction des déplacements humains
  • l’appropriation de lieux inusités par les femmes
  • l’intimité virtuelle: webcam, clavardoirs, blogues & pornographie
  • Identités multiples & engagement, singulier ou pluriel, etc.

Écrivez-nous si vous avez l’intention de soumettre: idées, commentaires, essais, expériences, rapports, dessins, etc.

Svp nous signifier votre intention de texte au plus tard le 22 avril 08
Date de tombée des textes : 15 mai 2008
Publication prévue en début juin 2008
Mélina Bernier, responsable de la chronique féministe: melinabernier at hotmail.com

Les articles (1000 mots) seront dactylographiés et aérés, accompagnés d’un résumé ainsi qu’une courte biographie (100 mots). Nous vous invitons à soumettre des illustrations et des photos pour compléter le texte. Ce dernier est sujet à des modifications (style, longueur, clarté) par le Comité de .dpi. Un cachet d’auteure est prévu.

Protocole de rédaction : http://dpi.studioxx.org/?s=Protocole


Née d’un désir de créer un espace interdisciplinaire créatif, critique et engagé socialement, la revue .dpi est un véritable lieu d‘échanges traitant des femmes et des technologies. Évoluant dans la voix du logiciel libre, .dpi utilise les blogues pour construire une plate-forme alternative, un forum qui nourrit une réflexion féministe sur le Net. Ouverte aux voix insolites, .dpi cherche à:

* questionner et redéfinir le cyberféminisme,

* discuter des réalité vécues par les femmes dans les paysages technologiques contemporains

* faire découvrir les femmes oeuvrant dans le domaine des nouveaux médias.