Reproduction atypique :: Sophie Le-Phat Ho
Il est communément admis que ce qui distingue les femmes des hommes est leur “capacité” à donner naissance. Ceci donne aux femmes un pouvoir énorme, à plusieurs niveaux. Le lien entre la mère et son enfant est un lien physique, alors que celui entre le père et " son " enfant en est un basé sur un accord implicite avec la mère, un lien abstrait, où ordinairement, le père n’est un père que dans la mesure où la mère le reconnaît comme tel (ou à tout le moins, ne déploie aucun effort pour le nier).
Ce niveau d’abstraction est surprenant quand il est difficile de concevoir une autre situation de la vie qui soit plus fondamentale, biologique, que donner la vie elle-même. Soudainement, nous sommes confrontés à une composante de la naissance qui se trouve être artificielle, et en quelque sorte construite. Mais on dit aussi que les technologies peuvent tout faire de nos jour Elles peuvent donner naissance. Elles peuvent donner du plaisir sexuel. Elles peuvent donner l’identité. Entrent en scène les propos de ce cinquième numéro de .dpi, qui aborde les relations entre sexualité, maternité, reproduction et technologie.
La technologie est souvent accusée de (ou adulée pour) mener à une satisfaction instantanée. L’Internet en particulier facilite l’accès rapide à de nombreux services, avec leurs bénéfices et leurs coûts (ceux-ci sont inversés selon que vous êtes idéologiquement de droite ou de gauche). D’un point de vue cyberféministe, la technologie est souvent racontée ou construite en termes d’appropriation, de do-it-yourself (faites-le vous-même), et de dissolution de barrières (de genre, très souvent). Elle constitue une reprise du pouvoir (ou de force, plutôt) élaborée grâce à l’utilisation d’outils technologiques, puisqu’un pouvoir construit de cette manière est une affirmation de force en elle-même.
Dans ce numéro, les hackers de la cyberporno exposent les liens intimes entre le sexe, la technologie et les stéréotypes produits par l’interaction des deux premiers. Ce type de hacking s’approprie une forme d’accessibilité liée à la satisfaction immédiate pour lui substituer une autre accessibilité, totalement subversive celle-là, menant à des dispositifs d’habilitation.
Un point de vue différent nous est offert ici, alors que nous soulignons la collaboration du Studio XX avec l’organisme Femmes autochtones du Québec, lors de la Journée internationale des femmes, avec la présentation de textes (dans Les compléments) liés à la violence envers les femmes (autochtones). Le poème sur la création et la renaissance d’un esprit et le récit d’une jeune Inuite enceinte et doté d’un genre double suggèrent, sous un autre angle, la même importance de cette affirmation de souveraineté.
Dans notre monde numérique de simulacres, être en mesure de reproduire sous-entend encore un certain pouvoir et une expression de celui-ci. Toutefois, l’utilisation d’Internet permet à ce pouvoir d’être partagé, lorsque par exemple, des personnes décident d’utiliser et de bâtir à partir du pouvoir d’un(e) autre. Dans ce contexte, le pouvoir est cumulatif – le pouvoir de l’un(e) n’enlève rien à celui d’un(e) autre. Prenez david still point org (dans Interview). L’identité de David Still est une marque de commerce – l’homme est un archétype, un modèle à être reproduit, mais à chaque fois différemment, tout dépendant de la personne qui s’approprie son identité pour sa propre satisfaction instantanée. Essayez-le, c’est gratuit.
D’étendre l’archétype, de déconstruire le stéréotype, de dissoudre le prototype, de reproduire l’atype.
David Still de davidstill.org (par email)
——————————————-
De: “sophie le-phat ho”
Objet: request for interview with David Still
Date: Mar 7 février 2006 11:36
À: “David Still”
David, sur le site Web que vous avez créé et qui porte votre nom, les internautes peuvent s’approprier votre identité (“David Still”) pour envoyer des courriels à leurs amis et ennemis, répondre par eux-mêmes à des questions sur vous, découvrir certains aspects de votre vie et visualiser des photos de vous (leur nouvelle identité).
Pour commencer, vous vous demanderez peut-être (ou peut-être pas) pourquoi je vous ai approché pour cette édition de .dpi dont la thématique intéresse principalement les femmes (soit la maternité, la reproduction, etc.). Eh bien, comme dans la plupart des quêtes intellectuelles, je pense qu'il est intéressant d'élargir la question autant que possible de manière à la voir sous un autre angle et découvrir de nouvelles idées. L'idée m'est venue en surfant sur votre site Web – http://www.davidstill.org/ , quand j’ai observé que cet homme, “David Still”, était en train de se servir de la technologie (c’est à-dire du site Web, des courriels et de la “Foire aux questions”) pour se reproduire! Qu’en pensez-vous? Êtes-vous d’accord avec cette analogie? Qu’est-ce qui vous a conduit à faire ce site Web? Quels désirs pensez-vous que votre projet exprime? En passant, j’ai remarqué que vous n’aviez pas d'enfants. Est-ce que certaines réactions des internautes ont influencé d’une façon ou d’une autre votre compréhension de la “reproduction”?
Ce présent exercice est assez pertinent en ce qui a trait à la sexualité, puisqu’en lisant certaines parties de votre site Web, on pressent que votre identité se lit comme un mode d’emploi sur “comment être un homme” ou, plus précisément, sur comment être un homme typique, un archétype du célibataire qui travaille et mène une vie tranquille sans d’énormes responsabilités. Je le mentionne car votre vie semble délibérément présentée sous son aspect “mec d’à côté”, ordinaire et sans fla-fla. Par exemple, un nombre surprenant d’amis qui ont vu votre photo m’ont dit que vous leur paraissiez très familier (ou qu’ils avaient un ami qui vous ressemblait exactement) ! Vous avez vraisemblablement adopté ce visage de Monsieur Tout-le-monde, c’est assez incroyable. Est-ce que vous le réalisez ? Pensez-y : ces commentaires viennent de Montréal, à milles lieues de votre quartier, De Realiteit (La Réalité). Et je ne peux penser à aucune célébrité avec laquelle on serait en train de vous confondre. En d’autres mots, sentez-vous que, dans une certaine mesure, votre site Web contribue à construire (ou renforcer) les perceptions sexospécifiques, tandis que des internautes aléatoires sont invités à s’exprimer librement, protégés comme ils le sont par l’écran de votre identité? Si oui, quels exemples donneriez-vous de ces perceptions? De fait, vous êtes, “David Still”, un archétype dans la mesure où votre identité sert littéralement de modèle, un modèle qui est reproduit sans cesse. J’aimerais savoir si vous croyez que quelque chose de plus se reproduit à chaque fois que quelqu’un utilise votre identité et participe à votre site Web.
Sur ce, j’anticipe vos réponses avec joie et vous remercie de votre temps.
Mes meilleurs voeux de Montréal,
Sophie
——————————————-
De: “David Still”
Objet: Re: request for interview with David Still
Date: Mar 7 février 2006 23:13
À: “sophie le-phat ho”
Chère Sophie,
Il me fait plaisir de prendre du temps pour vous et pour répondre à vos questions. L’idée d’être publié dans une revue féministe me ravit. Je m’intéresse non seulement aux ramifications de la reproduction, mais mon site Web démontre également comment j’ai inventé une solution ingénieuse pour y parvenir. J’ai trouvé une façon de me cloner qui n’a rien à voir avec les miracles de la reproduction génétique. “On n’a fait de mal à aucune femelle au cours du processus”, comme on dirait à la fin d’un film.
Vous avez sûrement remarqué à quel point je suis préoccupé par l’autoréflexion, en général, et par l’observation de ma propre image, en particulier. Certains appelleraient cela du narcissisme, mais, avec moi, c’est une autre histoire. Je n’ai pas créé ce site Web simplement pour m’admirer; j’ai créé une espèce de réplique de moi-même pour qu’elle puisse vivre sa propre vie. Je suppose que c’est à peu près la même chose qu’engendrer des enfants (effectivement, je n’ai pas d’enfants) : les enfants ne reproduisent pas leurs parents, ils se servent de leur matériel génétique pour devenir des personnes distinctes et vivre leur propre vie. Parfois je déteste ce que les internautes ont fait de moi. Ils se servent, par exemple, de mon identité pour envoyer des lettres de dénonciation incognito. Suis-je si méchant et lâche? Ou n’est-ce pas moi, mais un autre David Still que j’ai créé mais que je ne peux contrôler? N’est-ce pas ce que les parents ressentent parfois envers leurs enfants adolescents? Un sentiment de responsabilité mêlé à un sentiment d’impuissance!
Je vous sens légèrement sarcastique au sujet de ma personnalité. Je peux le lire entre les lignes. Vous trouvez que je suis une personne plate, sans intérêt, le gars d'à côté, typique, ordinaire et ainsi de suite. Pas le genre de mec avec lequel vous sortiriez, n'est-ce pas? C’est à mon tour de vous poser des questions Sophie, vous me le devez bien. Sortiriez-vous avec moi, oui ou non? Dites-moi pourquoi.
Retournons à notre sujet : vous vous demandiez simplement pourquoi un type voudrait faire des copies de lui-même alors qu’il ressemble déjà tellement au reste du monde? Qui veut plus de la même chose?
Pas vous, je pense. Vous ne voudriez probablement pas sortir avec un mec comme moi. Vous me trouvez faux, vous pensez probablement que je n’existe même pas.
Eh bien, tentez votre chance Sophie. La “Réalité” se trouve peut-être en Hollande mais je ne suis pas aussi loin que vous l’imaginez. Pensez un peu à comment vous pourriez m’observer, me disséquer! Vous n’êtes pas dupe, vous me mettez à nu! N’est-ce pas un signe que nous sommes plus proches que vous le pensez?
Personnellement, j’adore les féministes. D’habitude je les fais rire. Pourquoi? (une autre question, j’en ai bien peur, qui s’adresse à vous). D’une part, elles se moquent de moi et, d’autre part, elles me trouvent attachant, authentique! Un homme, rien de plus, sans ajout d’orgueil, sans justification! Je n’ai pas besoin de me prouver et c’est tellement reposant (vous n’avez toujours pas envie de sortir avec moi Sophie?). La raison pour laquelle je suis un modèle, un archétype, comme vous le dites, c’est que personne ne remet en cause mon sexe. Être un homme n’est pas ce qu’on pense! C’est si facile. Vous devriez essayer un jour.
Non, n’essayez pas. Sortez avec moi plutôt, c’est encore mieux.
En attendant vos réponses et prochaines questions,
(et possiblement un jour et un lieu pour se rencontrer)
Amicalement,
David Still
——————————————-
De: “sophie le-phat ho”
Objet: Re: request for interview with David Still
Date: Dim 26 février 2006 20:47
À: “David Still”
Cher David,
Merci de m’avoir répondu et de l’avoir fait sur un ton si sincère. Merci aussi pour l’intérêt que vous me portez, mais je ne sors pas d’habitude avec les hommes que je rencontre sur le Web. C’est un principe que j’ai & vous me trouverez peut-être étroite d’esprit, mais c'est comme ça! J’ai peut-être encore une part de méfiance vis à vis la technologie! Vos mots sont réels, mais comment savoir si vous l’êtes?
Aussi, je ne voulais pas insinuer que vous êtes une personne inintéressante. Si c’était le cas, je ne vous aurais pas approchée pour une entrevue. De fait, vous avez soulevé plusieurs questions fascinantes en parlant de votre site Web qui est le miroir de votre vie (ou de nos vies). Par exemple vous avez écrit :
> Ou n'est-ce pas moi, mais un autre David Still que j'ai créé mais que je ne peux contrôler?
Ce qui m’a fait penser au syndrome – Frankenstein , pour ainsi dire, (et non pas “le complexe de Frankenstein”, une expression inventée par Isaac Asimov pour désigner la peur des robots!). Comme vous l’avez remarqué, il semble que votre identité se prête à devenir " méchant et lâche ". Les personnes qui se servent de votre identité étant conscientes qu'elles ne se représentent pas elles-mêmes, ont de ce fait tendance à dire ce qu’elles pensent et ressentent vraiment, c’est à-dire, à être elles-mêmes plus qu’autre chose!
Stratagème ingénieux effectivement; qu’est-on en train de reproduire, au juste? Ce qui me fait penser à nouveau au sens du mythe de – Frankenstein – (bien sûr, je ne veux pas dire par là que vous êtes un monstre ou une créature). Avez-vous lu le livre par hasard? Si oui, laissez-moi savoir ce que vous pensez de cette analogie.
De plus, saviez-vous que dans certaines analyses, – Frankenstein – est perçu comme une histoire sur la grossesse et les peurs communes qu’avaient les femmes des bébés mort-nés et des décès maternels, à l’époque de Mary Shelley? Que cette dernière proposition soit vraie ou non, on ne peut s’empêcher de voir des rapprochements entre la création de la vie, l’utilisation de la technologie et le capitalisme! Sans aucun doute, Mary Shelley était une féministe
Pour ce qui est du passage où vous prétendez “faire rire les féministes”, je ne suis pas sûre de “quelles” féministes vous parlez. Il y en a toute une diversité. Voici une question d’ordre personnel plutôt que social ou politique. Je suis fort surprise d’apprendre que d’habitude les féministes rient de vous. ça n’a tout simplement aucun sens pour moi. Est-ce parce que “personne ne remet en cause votre sexe”? Ou est-ce parce que vous admettez ouvertement qu'être un homme c’est “facile”? Dur à dire, mais ce sont des déclarations relativement étonnantes.
Quant à vous David, êtes-vous féministe? En tout cas, il est bon de savoir que vous “adorez les féministes”. Je suis sûre qu’elles seront ravies de l’apprendre. Je suppose que vous aviez raison : il est facile de se moquer de vous! Mais avec beaucoup de douceur, je vous l’assure. En fait, je ne sortirai pas avec vous en tant que tel (voir le premier paragraphe de cette réponse), mais je vais vous faire une invitation pour que nous puissions nous rencontrer en personne. Le Studio XX fête son dixième anniversaire en avril 2006! Nous préparons une grande fête, et vous êtes invité. Est-ce que vous viendriez pour nous visiter et pour discuter plus en détail de votre site Web et de ces implications? Vous rencontrerez encore plus de ces féministes que “vous adorez”. Qu'en dites-vous David? Nous aimerions vraiment vous avoir parmi nous, ici au Studio XX.
Sincèrement,
Sophie
——————————————-
De: “David Still”
Objet: Re: request for interview with David Still
Date: Jeu 2 mars 2006 10:42
À: “sophie le-phat ho”
Chère Sophie,
Je vois que vous n’êtes pas encore prête à sortir avec moi, mais j’observe que vous vous en rapprochez, n’est-ce pas?
On y reviendra plus tard.
Parlons de Frankenstein en premier.
Vous allez peut-être être surprise mais je suis flatté par la comparaison. Je trouve que Frankenstein est comme le prototype d’un nouvel être humain. Les parties du corps dont il est fait sont de la meilleure qualité, choisies avec précaution dans le cimetière de l’église locale. Il est le meilleur homme fabriqué qui puisse être. Je suis comme lui. J’ai le meilleur nom possible, le meilleur emploi, la meilleure langue, le meilleur de tout ce qu’il y a sur Internet. Et, tout comme Frankenstein, les gens me trouvent quelque peu irréel, seulement parce que j’ai le meilleur de tout, et c’est ma faiblesse.
J’ai aussi le meilleur sexe, comme Frankenstein!
Et oui, le sexe masculin est le meilleur, mais le sexe féminin est encore mieux.
Être mieux, c’est mieux qu’être meilleur. (C’est logique.)
Le meilleur est au plafond. Il ne peut aller plus loin.
Mais il indique une direction.
C’est pourquoi vous, les féministes, avez besoin de moi.
Vous avez besoin de moi, comme vous avez besoin du pôle Nord sur un compas, même si vous décidez d’aller vers le sud ou ailleurs.
J’accepte votre invitation à la fête féministe avec beaucoup de plaisir. Je n’ai pas de mal à imaginer combien on peut avoir besoin d’un “homme standard” comme moi dans les parages. À bien y penser, il me semble qu’il devrait y avoir beaucoup plus de “moi”. Chaque femme à la fête féministe devrait en avoir un.
Standard ne veut pas dire unique, vous savez. Mais il ne s’agit pas d’une abstraction mathématique non plus.
Quand vous demanderez au “vrai” David Still de bien vouloir se lever, vous serez peut-être surprise de voir combien de personnes voudront répondre à l’appel.
Si au lieu d’avoir juste un David Still, vous préférez en avoir autant que possible, j’ai une petite idée d’un arrangement que nous pourrions prendre pour tous les faire venir.
Qu’en pensez-vous?
En fin de compte, vous aurez une sorte de rendez-vous avec moi à cette fête féministe, mais uniquement selon vos conditions.
Amicalement vôtre,
David
———
Gratuit comme un gratuiciel, humain comme vous.
davidstill.org
——————————————-
De: “sophie le-phat ho”
Objet: Re: request for interview with David Still
Date: Mer 8 mars 2006 0:45
À: “David Still”
Bonjour David,
Alors, c’est entendu. Nous inviterons autant de David Still’s que possible à cette fête “féministe” en avril! Nous avons bien hâte!
Merci d’avoir répondu à mes questions, David.
Sophie
milky weather :: Justyna Latek
I’m in front of my old high school. Luca is asleep in his stroller. I want to order a coffee. They are always slow in this place. I never see many clients. I really wish I could have a cigarette. I haven’t smoked since the pregnancy.
There is a young high school couple kissing over there. So soft and fresh.
I must get my hair cut. Carlos has not called back to give me an appointment. Maybe I should go to the neighborhood hairdresser. Maybe that’s what I will do?
A young teenager walks by. Salutes a group of his schoolmates with a confident grin and a gesture of the hand. Is he really that confident?
A young teenager calls out to a girl standing alone. “Sabine! Come here.” She’s there in an instant. Why do women do that? Respond to men’s orders so easily. Luca screams. I give him a bottle. My coffee arrives. I take a sip with one hand while I burp Luca with the other.
I’ve got so much love behind the fog. A drop of rain falls on my hand but the sky is clear blue. Luca burps again.
The cars drive by softly. Most of them are beige. The only way to escape the fog is to keep on moving. I want a cigarette. The breeze is invisible.
The coffee shop owner comes and talks to me. She is pregnant with her fourth. Banalities.
The sunlight is good for my mood. Luca is lively in my arms. The fog is thinner.
A skinny pregnancy walks by in heels. I cannot fit into any of my shoes except for a new pair of sneakers. I look like such a housewife: long hair, flowery dress and running shoes. I wonder if Camus’ stranger felt anything besides the heat.
I have forty five minutes left before class. I order two Atkins wraps at Subways. The girl behind me gives me a look. I feel guilty for eating so much but I can’t help it. I sit to eat. The girl sits close to me in the food court. She is thinking about the fact that I ordered two wraps. I try to tell myself that I will only eat one, and bring the second one home. I go into an underwear store and ask the shopkeeper in French whether she has tights. She answers in broken English. “English only, only this kind of underwear.” But I say tights not underwear, to which she replies “no only this kind of underwear.” I find her stupid. I find myself awful for finding her stupid.
Class is about to start. I am relieved to be away from home. I feel so awful for feeling that.
On the black board, the previous lecture. “Antropometric statistics. For example: the surface height of a keyboard. So that the sitting operator has the forearms and wrists horizontral.”
We program an application that is a calculator. And it hits me that it’s just an interface.
I wish I were thinner and more delicate. I am heavy. The fog thickens. My spirit is heavy.
Luca plays with a ray of sunlight. He tries to put his fish in his mouth. Gently he tries to move away from his secured position in his bouncy chair. He turns to his left and looks there for a while. He turns back to the center, there is sun, he puts his hands on his eyes.
He is the softest thing I have. I feel guilty for the fog. Am I that ungrateful? Luca is so wonderful I can’t stand myself. Luca laughs.
I make some coffee. Luca burps. The coffee is ready and hot. Luca tries to catch something I can’t see but that he can. He screams a little. It’s very sunny. No clouds. Thomas makes funny noises to Luca. Luca laughs. Thomas holds Luca’s teddy bear. Luca tries to bite it. Luca grabs the teddy bear and drops it. He makes funny noises with his mouth and agitates his arms. Thomas is in his light blue boxers.
Luca sleeps lightly and peacefully in my arms. I love him. I can’t understand this love.
I am detached, as if I were not here completely. I’m not somewhere else. I am nowhere. I am no one nowhere. There is no pain in the pit of my stomach. I don’t have a stomach. I am weightless and nothing hurts.
Some anxiety creeps in. I have so much work to do.
The terrace I am sitting at is in the shade. There is a cold breeze. Not a refreshing one, just cold. Luca is sleeping in his stroller, and I am having some coffee. The crazy guy who yells at me when I get on the bus with the stroller walks by. Thomas calls to say he is on his way home.
I am happy and full. I am afraid Thomas will die and I will be left alone with Luca. Luca moves around in his stroller.
A lady walks by with her Dalmatian. The cars roll softly on the street. Everything is so gentle. The space around me feels like baby flesh. The motors of the cars make a peaceful hum. Luca sleeps quietly. He is cotton. I check his breathing. He moves, I am relieved.
Sometimes when the solution is right in front of me, I look for it somewhere else. A young man runs by. Maybe he put a bomb across the street and the timer is on. I think of the people who have to be afraid of that. I think I hear my name, but it is not my name.
There are seagulls in the sky. A fire truck with a nice mellow engine. A bus with a vacation package to Cuba painted across it. I make no effort. Everything just flows.
We go to a maison de la presse. I look through the art magazines and I notice that art is dead.
A man with short arms and short legs on a wheelchair drives by. I feel no different than him.
It’s night. I watch some television. Only horrible news or Hollywood candy. I look at Luca. I’m full. There is nothing in my head right now. I must sleep.
Thomas is feeding Luca. We are watching television. Law and Order opening scene: a pregnant lady and her husband discover a dead body. Buy a car, buy hair products.
I close my eyes. It relaxes my lower forehead. I can feel my feet and my toes unhurting. Luca makes funny breathing sounds.
I do some math problems. I keep on redoing the same problem and hitting the same wall. I hit the wall over and over again until I realize that I am repeating myself and getting the same mistaken result. I wonder if it’s a reasoning mistake. I read the problem again, and I realize that it’s only an error in calculation. I wonder if I make the same type of mistake in life. Luca screams.
Luca sleeps. I do some math problems. I bump into a wall again. Same problem, different mistake. Luca snores. I am foggy. It’s sunny outside. We should get some fresh air. Maybe we should go to Wilderton plaza to buy some Christmas wrapping paper. They have a great variety right now. I remember our prenatal class’ nurse-instructor’s advice: “Get yourself and your baby into the car and go to the nearest mall. You’ll see many moms walking around with strollers avoiding to go crazy just like you.” Luca is about to wake up. His face is so enlightening when he is about to wake up. The problem is I don’t have a car.
I feed Luca. I eat. Thomas calls to ask if he should get a flu shot at work : it’s free. Luca falls asleep again. I lay down. I can see my curly hair against the side of the sofa, the windows and the sunlight against the cotton blinds. Everything is sunny and white for a while. Luca coughs and I run to him. I prepare for our departure.
I get on the bus. I get yelled at by an old man with a lot of gray hairs coming out of his nose. I realize I forgot Luca’s pacifier. A wave of stress hits my body, like a progressive shock. I go to the drugstore and buy a new pacifier. I call Thomas to complain about the guy on the bus. He said he would have beaten him up. I buy some wrapping paper, gift bags and silk paper, all in either gold or red. I want it to be pretty. I go into the coffee shop and order a café allong with a bowl of boiling water. I sterilize Luca’s pacifier in the boiling water. I feel really, really ingenious. I do some math problems and drink coffee. I find a new wall to hit my head on. I imagine a little flash animation of a character who repetitively hits her head against the wall. Sometimes she walks a little just to find a new wall. I see moms with strollers all over the mall. Is our only refuge from loneliness and madness the mall? I think of wrapping paper and I think of Christmas. I get very excited about the nice gifts. It will be Luca’s first Christmas.
I return to Pharmaprix with my points card. It has 75$ on it. I go around the make-up section five times. Good perfume is so expensive. I buy Christian Dior nail polish. It’s pink with a touch of lilac.
My eyes dry up. I love the moment when my eyes are drying up. Thomas looks at me and tells me I am the woman of his dreams. I look at his feet. They are beautiful. Big with blond hair. Am I happy or am I sad? It’s beautiful how white reflects light so completely it overtakes vision.
I wait for the bus for half an hour. The wind freezes my face. I hail a cab. A woman in a car almost hits us. Later another car almost hits us. “Some days, it’s in the air.” The driver replies. “It’s the wind. It’s the wind that causes this.” I can tell he was a very educated man in his homeland. He briefly mentions a past life. I pay him. He says: “May the wind always blow in your direction.”
Justyna Latek is a multidisciplinary artist with degrees in Art History, Visual Arts and Design. She works in photography, video and interactive video. Her favourite part of the creative process is to cut things up and reassemble them. She has obtained grants from CALQ (Conseil des Arts et des Lettres du Québec) and CIAM (Centre Inter-universitaire en Arts Médiatiques), and her work is being co-produced by Videographe and Daïmon. Her work has been shown in Canada, the United States, France and Spain. She thinks there is nothing more exciting and fulfilling for the heart than to love a child.
"Parce que je suis sexy et intelligente!" Les maîtresses noires hackent la cyber pornographie :: Mireille Miller-Young
Si vous avez un penchant pour ces magnifiques femmes noires, couleur café aux courbes délicieusement pulpeuses, vous serez sans doute porté à explorer ces sites corporatifs, communs, et souvent imprégnés de clichés comme, par exemple, Blackteens.com. Plutôt fade et platonique, on peut y observer de jeunes filles noires leurrées dans des chambres d’hôtel tocardes aux côtés de jeunes pornographes blancs, souvent débutants.
Même si le site entend recruter de jeunes femmes noires sur la rue ou au centre d’achats, la majorité des candidates sont des amatrices tentant d’avancer leur carrière dans l’industrie adulte par le biais du marché cyber-pornographique. Certaines d’entre elles y parviennent avec succès et atteignent un point où elles prétendent à une certaine autonomie. Alors que la majorité des pornstars noires font appel à un ami ou à un associé pour concevoir leurs sites, quelques-unes ont assez de cran pour apprendre la technologie et investir dans le matériel nécessaire pour mettre sur pied un petit studio maison et construire leurs propres sites interactifs.
Dans un réseau qui tend à assourdir les voix des femmes noires tout en faisant de leur corps des produits hyper accessibles, ces sites “auto-édités” offrent des possibilités excitantes et même radicales, d’où émerge une variété de questions vitales.
Jusqu’où ces sites créés par des pornstars noires peuvent-ils être considérés comme faisant partie de cette dite “démocratisation” de l’industrie hardcore et de quelle manière nous forcent-ils à reconsidérer la place des communautés minoritaires, comme celles des femmes noires et des travailleuses du sexe, dans une cyber-économie grandissante? À travers l’alliage des pratiques et des identités sexuelles et raciales, on peut se demander comment Internet constitue un espace propice à la production de possibilités anti-hégémoniques? Le “netporn” peut-il créer des sujets renforcés et auto-définis, détachés de ces mythes fantasmatiques et de ce surréalisme grumeleux qui composent le “hardcore” digital? Finalement, comment ces interventions numériques, ou “hack”, cumulent-elles, dans une sorte de travail culturel, de nouveaux points de réflexion pour l’étude de la pornographie en ligne?
Hacker les courants dominants du “netporn”
Comme d’autres travailleuses du sexe, certaines femmes afro-américaines, en oeuvrant dans le divertissement pour adulte, utilisent la technologie pour acquérir un plus grand contrôle sur leur travail. Tout en leur fournissant une source de revenus, les sites Internet leur permettent de camper, gérer et distribuer de manière stratégique leurs images en fonction de leurs propres intérêts. En s’infiltrant dans le e-commerce du sexe, ces femmes noires non seulement parviennent à en extirper les bénéfices économiques, mais congestionnent aussi la matrice de codes culturels qui fétichisent leur corps dans la cyber-société.
Les femmes noires sont superficiellement «cyber-typées» comme une sous-classe. Les «cyber-types» constituent un rapport mimétique d’“Autres” fétichisés prouvé indispensable à la mise en réseaux de structures de représentations à travers la société cybernétique. Cette dialectique entre l’attraction et le désaveu corrompt le monde numérique en une économie raciste du désir où les corps des femmes noires sont à la fois invisibles et hypervisibles. Les sites produits par ces femmes noires agissent en contre-courant tout en soulignant dans sa totalité la nécessité d’offrir des options dynamiques aux catachrèses habituelles. Pour ces femmes, le “netporn” profère un espace hautement politisé où toutes les distinctions entre exploitation et appauvrissement, plaisir et péril, communauté et aliénation semblent floues. Leur fonction tend donc à déstabiliser ces systèmes économiques et idéologiques qui constituent toujours un réseau profondément raciste et sexué.
Cyberporn et désir racial
En créant des espaces alternatifs de rencontre, d’exploration, et d’échange, le cyberporn mine potentiellement la logique hégémonique associée à la ségrégation raciale et sexuelle états-unienne. Reconstruits dans un espace virtuel, ces sites illustrent bien la perméabilité des frontières sexuelles et raciales. Par contre, la technologie numérique encourage un désaveu commode dans la consommation de masse, secrète et frénétique, des fétiches à chaire subjuguée noires.
Le tabou de la sexualité interraciale et l’association des corps noirs à la déviance saturent la microfibre du netporn. Parce que le capitalisme globalisé maintient les individus de couleur et les femmes dans un stade permanent d’exploitation, les corps noirs travaillent constamment sous l’étiquette de la marginalité. Leur sexualité reste une bataille assidue contre les représentations et le contrôle.
Très tôt dans l’histoire, les technologies visuelles telles la photographie et le cinéma ont fait place à une «économie visuelle» spécifique de la femme noire comme un spectacle de déviance sexuelle et pathologique. Depuis, toute représentation pornographique des corps noirs, du daguerréotype, à la photographie, en passant par le film, la vidéo, et jusqu’aux médias numériques, n’ont été qu’une extension et une intensification du regard colonialiste.
L’implication de nouvelles voix dans le cyberporn, particulièrement celles des travailleuses du sexe actives et issues de la rue, peut mener à une transformation positive du cyber-type sexuel de la femme noire comme objet de plaisir en proposant de nouvelles identités sexuelles créatives, dynamiques et inexploitées.
Les femmes noires et le marché du cyberporn
Les désirs entourant les sexualités dites noires de l’industrie pornographique sont à l’origine de l’imagination d’hommes blancs qui cherchent à distribuer les stéréotypes et les tabous. Dans un marché où l’inégalité salariale entre blancs et noirs est réelle (les acteurs/actrices noires sont parfois payés jusqu’à deux fois moins que leurs confrères / consoeurs blancs), l’Internet s’avère comme une voie d’accès plus facile et démocratique; un lieu de possibilités excitantes en termes d’économie, de renommée, d’autonomie, et de contrôle de l’image.
Pour les actrices noires de l’industrie adulte, posséder un site Internet est vu comme une prise de position critique. Elles accèdent à des ressources et des opportunités auxquelles elles n’auraient bien souvent pas eu droit si elles ne s’étaient engagées dans la technologie.
Auto-édition et création d’espace en ligne
Même dans un contexte d’ultime pouvoir corporatif conduit par des compagnies pornographiques et des conglomérats multimédias, cette appropriation collective de la technologie par les actrices pornographiques noires invite, par le biais d’une multitude de possibilités numériques, à la résistance. Elles peuvent devenir ce qu’elles aspirent à être, belles, sexy, provocantes, intelligentes et perspicaces.
Alors que la technologie se développe et que ces femmes continuent à s’approprier les nouveaux modes d’articulation numérique, on peut se demander comment les identités raciales, sexuelles et sociales seront reconstruites et performées. Les sites auto-édités peuvent-ils acquérir une visibilité comparable aux sites dominants des pornstars blanches ou compétitionner avec les sites corporatifs établis? Cette réinvention iconographique contribuera-t-elle vraiment à transformer la politique représentationnelle hégémonique autour des corps noirs et des sexualités en général? Quels nouveaux sens seront donnés à la race et à la sexualité dans l’évolution exponentielle du techno future? Espérons que les pornstars noires feront entendre leur voix.
Merci à Mireille Miller-Young et Cut-Up de nous permettre de publier à nouveau cet article.
Recherche
Dans ce numéro | In this issue
Production
Rédactrice en chef no 05
Sophie Le-Phat Ho
Coordination
Sophie Le-Phat Ho
Comité de rédaction
Mélina Bernier
Sarah Brown
Nathalie Guimond
Caroline Martel
Marie-Christiane Mathieu
Jake Moore
beewoo
Articles
Sophie Le-Phat Ho
Justyna Latek
Mireille Miller-Young
Louise Neill
Jonathan Donelly Taylor
Interview
Sophie Le-Phat Ho
Traduction
Sophie Le-Phat Ho
Sarah Brown
Laurence Mathieu-Lger
Anik Fournier
Révision
Marie-Christiane Mathieu
Mlina Bernier
Marie-Hllne Lemay
Sophie Le-Phat Ho
Webmestres
Stéphanie Lagueux
Illustration
Bérengère Marin Dubuard (beewoo)
Équipe de design
Stéphanie Lagueux
Bérengère Marin Dubuard