Ademo.studioxx.org:8080/demo/fr/no/02/longue-vie-et-meilleurs-voeux-par-sheryl-hamilton./demo.studioxx.org_8080/demo/fr/no/02/longue-vie-et-meilleurs-voeux-par-sheryl-hamilton.htmldemo.studioxx.org:8080/demo/fr/no/02/retour-du-cyborg-par-sarah-brown./demo.studioxx.org_8080/demo/fr/no/02/longue-vie-et-meilleurs-voeux-par-sheryl-hamilton.html.zxV ۏOKtext/htmlutf-8gzip+>ۏMon, 05 Oct 2015 04:46:01 GMT`***++P,VZ1ۏ Longue vie et meilleurs voeux ! :: Sheryl N. Hamilton | .dpi: la revue électronique du StudioXX
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Longue vie et meilleurs voeux ! :: Sheryl N. Hamilton

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Difficile de croire que vingt années déjà se sont écoulées depuis la première publication par Donna Haraway de « A Manifesto for Cyborgs: Science, Technology, and Socialist Feminism in the 1980s » (le Manifeste cyborg). Retravaillé une fois, réimprimé des douzaines de fois et cité par un nombre incalculable d'auteurs, cet essai occupe à juste titre une place de choix au panthéon des grands essais. À l'instar de La mort de l'auteur de Roland Barthes, de L'œuvre d'art à l'époque de sa reproduction mécanisée de Walter Benjamin et, bien sûr, du Manifeste du parti communiste de Karl Marx et Freidrich Engels, le Manifeste cyborg est une œuvre dont la simple évocation est chargée de sens mais dont on tend à oublier le contenu et, éventuellement, la portée réelle.

Haraway a le mérite d'avoir mobilisé dans cet essai l'une des métaphores les plus fécondes, les plus fortes mais aussi les plus souvent reprises de la technoculture : le cyborg. De fait, si le terme même de cyborg a été introduit par Manfred Clynes dans les années 60 afin de décrire l'adaptation des humains à la vie dans l'espace (voir Clynes and Kline, 1995), c'est le Manifeste cyborg qui a introduit cet hybride insubordonné en théorie sociale. Haraway définit le cyborg comme un organisme cybernétique, un hybride de machine et d'organisme, une créature de la réalité sociale aussi bien qu'une créature de l'imaginaire »1. Elle a présenté le modèle du cyborg comme une fiction politique permettant de rendre visible la disparition progressive des frontières séparant les humains des animaux et des machines. Ironique, insubordonné et atypique, le cyborg savourait les plaisirs de couplages hétéroclites avec la technologie, recherchait une politique de l'affinité et incitait les femmes à entrer en relation avec la technologie.

Scott Bukatman reconnaît que « Donna Haraway a considérablement repensé l'émergence du cyborg au milieu du vingtième siècle, et que le terme même du cyborg est devenu presque synonyme de ses formulations » 2. Plusieurs autres chercheurs sont d'ailleurs du même avis (par exemple Hicks, 2002; Flanagan et Booth, 2002; Gray, et al., 1985; Gray 2001; Davis-Floyd et Dumit, 1998; Wolmark, 1999). Pour ce qui est de sa diffusion et de sa complexité , la métaphore a éclipsé l'essai initial. À peu de choses près, toute rencontre du corps et de la machine peut être et a été étiquetée de « cyborgienne ». Comme le souligne Heather Hicks, « [t]hose of us who think and write about contemporary literature and culture may at times begin to feel that we have reached 'cyborg saturation'» (2002: 86). Elle poursuit toutefois en avançant (mais sans en faire la démonstration) que la figure du cyborg s'avère encore aujourd'hui pertinente ; « [H]owever faddish the regular recycling of this trope may begin to appear, its staying power suggests its usefulness as an intellectual rallying point for all of us who find contemporary cultural transformations too astonishing and dramatic to warrant anything less than the special effect that is the cyborg metaphor » (ibid.). Or, la longue vie du cyborg ne suffit pas à faire la preuve de son utilité. Il me semble important, spécialement au moment de leur vingtième anniversaire, de ne pas perdre de vue que le cyborg et son manifeste d'origine sont tous deux « nés » au milieu des années 80.

Appel féministe aux « techno-armes », s'adressant aux lecteurs marxistes embourgeoisés du Socialist Review, cherchant à redéfinir la pratique socialiste féministe et à interroger des pratiques telles que la « homework economy », l'essai avait une orientation très claire. Il s'agit aussi inévitablement d'un produit de son temps ; après tout, il s'insère dans un contexte pré- WWW, pré- adoption gé né ralisée des PC, pré- Dolly, pré – Projet Génome Humain, pré – Guerre du Golf! Et lorsqu'il est question de technologie, on nous a appris que le temps compte. Il semble donc légitime et même essentiel de nous poser deux questions : y a-t-il aujourd'hui des gens toujours intéressés par le cyborg ? Devrions-nous l'être ?

En 1997, j'ai publié un article explorant ce que je nommais alors la « not-so-surprising half-life of the Cyborg Manifesto », c'est-à-dire l'ensemble des réflexions (féministes et autres) s'étant développées autour du cyborg depuis 1985 (Hamilton, 1997). Je suggérais alors que plusieurs effets discursifs étaient manifestes, dans le champ plus large de la cyberthéorie. Premièrement, le Manifeste cyborg a servi de point limite à la fois théorique et historique; deuxièmement, il exprime une position féministe « pro-technologie »; troisièmement, il convainc en faisant la synthèse entre la représentation et la pratique; quatrièmement, une esthétique de science fiction domine cet écrit; et, finalement, le cyborg est devenu un concept porteur pour l'analyse des corps et des technologies dans la théorie et la recherche féministes. J'avançais en outre qu'à l'intérieur de la littérature féministe se profilaient trois courants distincts quant à l'interprétation du cyborg : le cyborg en tant que métaphore pour théoriser corps et technologies, le cyborg en tant que construction fantastique pour examiner les représentations et le cyborg en tant qu'être permettant une réflexion sur les pratiques technologiques orientées en fonction du sexe.

Depuis ce temps, il semble évident qu'un intérêt pour le cyborg se fait toujours sentir. L'activité intellectuelle que j'avais discernée au cours de la première décennie du cyborg se poursuit, comme d'ailleurs plusieurs des tendances que j'avais alors identifiées. Le cyborg en tant que trope apparaît toujours dans une multitude d'analyses traitant autant du Prozac que des aliments génétiquement modifiés, des interfaces entre le cerveau et la machine, de la théorie morale, de la citoyenneté ou encore de l'insémination artificielle., Dans certains écrits sur la technoculture, la recette « ajouter-le-cyborg-et-brasser » pour être au goût du jour apparaît toujours (par exemple, Schmidt et Moore, 1998); les artistes corporels Orlan et Stelarc continuent (étonnamment) à susciter une certaine curiosité intellectuelle en étant les seules incarnations connues de cyborgs authentiques (Zylinska, 2002) ; la Matrice (Matrix), le Borg dans Star Trek et AI ont remplacé les séries Robocop, The Lawnmower Man et Terminator à titre de favoris de la cyborgie cinématographique.

Cette prolifération de ce que Gray et al (1995) appelleraient la « cyborgologie » peut nous permettre de répondre à une première question : y a-t-il toujours des gens qui s'intéressent au cyborg ? De toute évidence, il y en a. Reste à déterminer, si nous devrions nous y intéresser pour autant. L'activité intellectuelle continue qui se développe autour de ce modèle, considère le modèle du cyborg sans le remettre en question, ce qui a l'effet, sans doute imprévu par Haraway, de le rendre iconique, archétypal et donc figé dans le temps, statique. Le cyborg peut-il encore offrir aux cyber- et autres féministes (de mê me qu'aux autres intéressés) des ressources technoculturelles, politiques intellectuelles et créatives ? J'explorerai brièvement trois lieux où la pertinence et la perspicacité du cyborg sont aujourd'hui rendues manifestes: les biotechnologies, le posthumanisme, et le Manifeste cyborg lui-même.

Kathleen Woodward (1994) suggère avec justesse qu'une grande partie de la littérature sur la technoculture se consacre aux technologies de la communication au détriment des biotechnologies. Elle considère le Manifeste cyborg comme une référence de choix pour rectifier cette situation tout en notant au passage que c'est en quelque sorte à la dérobée que Haraway y avait introduit les biotechnologies (155). Les études sur le cyborg, peu disposées à explorer le volet scientifique de la technoscience, se sont concentrées de façon excessive sur les technologies « dures » ("hard" technology), négligeant par le fait même les technologies « molles » ("soft" technology). La critique et la théorie culturelles ont pour leur part pris un certain temps avant même de considérer la biotechnologie et ont pris encore plus longtemps avant d'envisager le cyborg comme une figure utile pour la questionner.

La science biotechnologique offre des exemples concrets de la remise en question actuelle des frontières séparant les humains des animaux et des machines. Les industries transnationales de bioscience produisent des êtres hybrides beaucoup plus perturbants et intéressants qu' Orlan ne le sera jamais. Cependant, la panique suscitée par la remise en question du statut de l'être humain due aux récents développements en biotechnologie, obscurcit les questions liées aux spécificités de chaque sexe. W.J.T. Mitchell (2003), par exemple, examine ce qu'il appelle la reproduction biocybernétique " explorant les tensions entre nature et culture ainsi qu'entre originaux et copies génétiques " et analyse une série de films cyborg tout en esquivant les implications de la reproduction biocybernétique pour les différents sexes. Et il n'est pas le seul. Y a-t-il un meilleur rôle pour le cyborg que de nous aider à considérer la politique des sexes et ses répercussions, dans les pratiques biotechnologiques matérialisant « ces fusions puissantes et taboues » ?3

Les explorations intellectuelles et populaires du posthumanisme et des posthumains forment un second lieu culturel où la présence du cyborg est implicite quoique toujours mé connue. Du classique de N. Katherine Hayles How We Became Post Human: Virtual Bodies in Cybernetics, Literature and Informatics (1999) aux pré tentions les plus dé bridé es des Extropiens (un groupe transhumaniste marginal faisant la promotion de la science et de la technologie comme moyens de transcender les limites biologiques de l'ê tre humain), l'attention accordé e aux ré flexions posthumaines s'est accrue à un rythme impressionnant. Les travaux sur le posthumain semblent se diviser en deux grandes tendances : un courant plus populaire que Eugene Thacker (2003) nomme l'« extropianisme » et une approche plus réflexive et prudente qu'il appelle (empruntant le terme à Jill Didur) le « posthumanisme critique ». Contrairement à plusieurs autres chercheurs, Thacker reconnaît explicitement le rôle précurseur de Haraway dans le développement du posthumanisme critique mais ne se questionne pas sur les raisons pour lesquelles le posthumain en tant que trope devrait remplacer le cyborg. Ma propre exploration du posthumanisme critique suggère que ce manque d'analyse est en fait très ré pandu. Elaine L. Graham (2002) en repré sente peut-être l'exception, consacrant un chapitre entier de Representations of the Post/Human: Monsters, Aliens and Others in Popular Culture (2002) à différencier sa démarche d'une approche davantage cyborgienne. Elle soutient que le maintien d'une opposition entre l'humain et le divin par Haraway limite le cyborg de façon excessive. Or, un chapitre consacré à défendre cette idée n'a pas suffit à me convaincre que le cyborg en tant que figure culturelle plus large se voyait nécessairement condamné par le catholicisme, soi-disant latent chez l'auteure.

Je crois que le cyborg a encore beaucoup de choses à enseigner aux posthumanistes critiques. Bart Simon, directeur d'une parution spéciale de Cultural Critique en 2003 sur le futur du posthumain, demande : « How does one disentangle the critical potential of hybrid subjectivity from the corporate technoscientific practice of producing hybrids so well suited to the needs of global capitalism? » (4). N'était-ce pas la raison d'être même du cyborg ?

Finalement, le troisième lieu que je propose d'explorer afin de saisir toute la pertinence actuelle du cyborg est le Manifeste cyborg lui-mê me. Prenons plaisir à jouer avec des énoncés tels « le cyborg est résolument engagé dans la voie de la partialité , de l'ironie, de l'intimité et de la perversité . Il est opposant, utopique et totalement dénué d'innocence. » 4. En tant que féministes, considérons l'argument selon lequel « nous demandons la régénération, pas la renaissance et, dans notre reconstruction possible, il y a le rêve utopique rempli d'espoir d'un monde monstrueux qui exclut le genre. » 5 Ou encore l'idée que « l'imagerie cyborgienne ouvre une porte de sortie au labyrinthe des dualismes dans lesquels nous avons puisé l'explication de nos corps et de nos outils ».6 Pourquoi ne pas relever le défi: « Donc mon mythe cyborg concerne les frontières violées, les fusions puissantes, et les possibilités dangereuses que les progressistes pourraient explorer en tant que partie d'un travail politique nécessaire. »7

« Que peut-on apprendre d'une pollution "technologique" personnelle et politique ? » 8,
est une question qui demeure encore significative aujourd'hui . Je suis une cyberféministe qui enseigne des cours de cycles supérieurs sur le thème de « gender and technology ». J'avais cessé d'inclure le Manifeste cyborg dans la liste des lectures obligatoires pour mes cours, parce que j'avais l'impression qu'il était devenu désuet (d'un point de vue esthétique, du moins, mais peut-être aussi intellectuel et politique) et à cause du cynisme des étudiants face à tout ce qui porte l'étiquette « cyber » et de ma propre insatisfaction face à la perte progressive de sens d'un cyborg utilisé à toutes les sauces dans la technoculture actuelle. Cette année, à l'approche de son vingtième anniversaire, j'ai décidé de réintroduire ce texte dans le plan de cours de mon séminaire doctoral. Le groupe d'étudiants inscrits à ce sé minaire é tait des plus diversifiés, allant de la jeune étudiante en première session de maîtrise à la grand-mère en voie d'obtenir son doctorat. Étonnamment, personne n'avait lu l'essai auparavant. Et, à ma grande surprise, ils l'ont adoré. Chacun avait une interprétation complètement différente de ce qui était important, avec pour conséquence prévisible qu'ils étaient à la fois contrariés et interpellés par cet essai. Toutefois, ce qui est plus important est le fait qu'ils l'aient jugé pertinent à leur propre expérience de la technologie. Le moment le plus touchant fut lorsqu'une femme nous confia que la lecture de cet essai lui avait permis de se sentir fière de la barre de fer insérée, lorsqu'elle était enfant, dans sa colonne vertébrale afin de la redresser. Le cyborg lui a procuré une nouvelle emprise sur sa vie et elle a laissé entendre, les larmes aux yeux, que son adolescence aurait été beaucoup plus facile si elle avait pu lire et comprendre cet essai lorsqu'elle était encore jeune. Mon cynisme envers le cyborg s'est soudainement estompé. De toute évidence, il me reste toujours des choses à apprendre du cyborg.

C'est le vingtième anniversaire d'une figure féministe qui s'avère encore aujourd'hui des plus pertinentes afin d'éclairer notre expérience ), de la technoscience, en tant que femmes (et hommes). Pourquoi ne pas se faire plaisir ? Revisitons et relisons le Manifeste cyborg.

Joyeux anniversaire Cyborg ! Longue vie et meilleurs voeux !

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NdR: Les citations d'Haraway sont empruntées à la traduction française de Anne Djoshkoukian, mise à part les citations 6 et 8 qui proviennent de la traduction de Marie Héléne Dumas, Charlotte Gould et Nathalie Magnan.

Le manifeste cyborg : la science , la technologie et le fé minisme-socialiste vers la fin du XXème siècle traduit par Anne Djoshkoukian, , première publication en septembre 1992, mise en ligne le mercredi 21 juillet 2004
http://multitudes.samizdat.net/article.php3?id_article=800

Manifeste cyborg : science, technologie et fé minisme socialiste à la fin du XXe siècle
1985. Trad. : Marie Hélène Dumas, Charlotte Gould, Nathalie Magnan.
École Nationale Supérieure des Beaux-arts, Paris.
http://www.cyberfeminisme.org/txt/cyborgmanifesto.htm

1.[« cybernetic organism, a hybrid of machine and organism, a creature of social reality as well as a creature of fiction » (1985: 65)]
2.[« Donna Haraway has extensively rethought the emergence of the cyborg in the mid-twentieth century, and the very term has become nearly synonymous with her formulations » (Scott Bukatman, 1993: 321)]
3. [ « these potent and taboo fusions » (Haraway, 1985: 90)]
4. [« [t]he cyborg is resolutely committed to partiality, irony, intimacy, and perversity. It is oppositional, utopian, and completely without innocence » (Haraway, 1985: 67)]
5. « [w]e require regeneration not rebirth, and the possibilities for our reconstitution include the utopian dream of the hope for a monstrous world without gender » (ibid. 100).
6. « ©yborg imagery can suggest a way out of the maze of dualisms in which we have explained our bodies and our tools to ourselves » (ibid. 100-101)
7. « [s]o my cyborg myth is about transgressed boundaries, potent fusions, and dangerous possibilities which progressive people might explore as one part of needed political work » (ibid. 71).
8. « What might be learned from personal and political 'technological' pollution? » (ibid. 93)