Adhérence : Résistance visqueuse :: par Sophie Le-Phat Ho

Our endeavour must not be to make comparisons thar blur and oversimplify but the reverse - to make our models as complex as possible, to the point where we find ourselves fitting into them somewhere. (Félix Guattari, « Micro-politique du fascisme »)

Cela se résume à un rapport de savoir/pouvoir. Même si de telles généralisations cachent souvent quelque chose, celle-ci est plutôt souvent elle-même oubliée, cachée et effacée. Cette qualité fugace est peut-être caractéristique du soi-disant capitalisme et néolibéralisme tardif qui, en tant que procédés, trouvent incessamment de nouvelles façons de coloniser et de s'approprier des idées, des espaces, des objets, des idées, des relations, des gens. Dans ce contexte, la notion de Foucault de savoir/pouvoir peut être perçue comme une intervention conceptuelle qui peut nous aider à mieux comprendre que le pouvoir ne réside pas seulement dans les institutions politiques, mais qu'il opère jusqu'au niveau moléculaire, où le savoir et les actions de chacun ne sont jamais séparés du politique. Au fil des ans, des concepts tels que les « complexes », les « assemblages » et les « machines » ont surgi en relation à l'analyse sociale du néolibéralisme, révélant une potentielle nouvelle subjectivité en relation avec le capitalisme. Mais cette subjectivité risque de vaciller et de se perdre puisque le pouvoir opère en réseau. Dans ce sens, l'idée d'adhérence peut agir comme un autre point d'entrée utile dans la problématique traitée.

Juxtaposée à la notion de résistance, celle de l'adhérence peut sembler avoir fonction d'antonyme: résister à quelque chose signifie ne pas y adhérer. D'un autre côté, résister, quoi qu'en prétendent certains inventeurs de « nonistes », c'est aussi adhérer à autre chose. Entre les deux, le niveau d'adhérence peut servir à mesurer le degré même d'une résistance à l'institutionnalisation, à la cooptation ou à la récupération. L'adhérence peut être une arme de la résistance tout comme elle peut être une épine dans son pied.

Bref, résistance et adhérence vont de pairs.

Mais leur opposition n'est pas donnée. En effet, la notion de résistance_adhérence peut être perçue plutôt comme un processus (au quotidien), une démarche, un travail à faire à tous les niveaux (tout le temps). Le choix du concept d'adhérence, en contraste à celui d'adhésion, signale une possibilité de le traiter en termes de degré, de coefficient - c'est-à-dire comme indice - et non comme identité. L'adhérence met alors de l'avant les idées de terrain glissant, de force d'attraction, de friction, de lubrification, de rythme, de viscosité, d'enchevêtrement, tout comme celles de la dextérité, de la navigation, de la finesse, bref, de l'art. Comment aborder la résistance_adhérence en ces termes, c'est-à-dire non plus en oppositions, mais en niveaux d'intensité? En quoi l'analyse de l'idée de résistance_adhérence peut-elle mener à une meilleure compréhension de la créativité, de l'autonomie? En d’autres termes, comment traiter la notion de résistance du point de vue de celle de l'adhérence peut-elle exposer de nouvelles pistes, de nouvelles prises, à travers les entrelacements contemporains du pouvoir?

Ralentir et comprendre

En relation avec différents niveaux d'intensité, la résistance_adhérence a le potentiel d'ouvrir un dialogue sur l'idée de résistance en tant qu'attitude. En effet, construire nos relations avec les institutions peut constituer un art en soi. Les positions oppositionnelles ou conflictuelles qui ne sont pas déjà compromises à un niveau ou un autre (ou qui ont le potentiel de l'être éventuellement) sont rares ou peut-être même inexistantes, car le capitalisme est un ennemi mobile. Comme Heather Davis le démontre dans son article « Quand l'art devient le changement social », le collectif artistique militant WochenKlausur travaille à partir d'une conscience introspective de sa position compromise afin de peaufiner ses projets politiques à petite échelle. Ceux-ci compliquent l'idée même de la pratique artistique et placent l'éthique au premier plan, autant comme objet/objectif artistique que critique de « l'art » en soi. Pareillement, dans son article « Se jouer des corps pour se parer de liberté », Alexandre Klein expose des pratiques originales de création de bijoux qui, dans le combat contre la normalisation, rendent visible le rôle que jouent la nuance et la finesse dans le dérangement des positions radicales. En vertu de la relation des bijoux avec les institutions conservatrices, la résistance devient aussi mobile que son objet, car elle agit comme une sorte de convoyeur. Ce type de stratégie et d'attitude de « complication », pour le dire ainsi, est aussi perceptible dans le projet Refresh par Kristin Lucas. En dialogue avec Marisa Jahn, Lucas explique comment elle changea légalement son nom de Kristine Sue Lucas à… Kristin Sue Lucas, montrant comment la possibilité de « versions » remet en question la notion d'une « représentation d’un soi unitaire et linéaire ».

D'art et de vrais corps

Les pratiques artistiques mentionnées ci-dessus indiquent que le pouvoir est à l'œuvre au niveau des corps. Elles prescrivent, que ce soit dans les disciplines artistiques ou philosophiques - tout en brouillant l'idée même de discipline - une analyse qui, comme Félix Guattari l'a déjà dit, ne se laisserait jamais couper du vrai ou du social. Donc, des pratiques qui recherchent le réel pour être en mesure d'atteindre ce qui est vrai. En d'autres mots, des pratiques qui s'adressent à tous les aspects de la vie, qui s'adressent au biopouvoir. À cet égard, Alexandra Klein défend avec justesse un type de philosophie contemporaine qui agit comme allié dans les mouvements contemporains de résistance. D'un autre côté, Dorothy-June Fraser, dans son article « Le Western Frontier: Kate Craig et le radicalisme dans l'art vidéo canadien », souligne l'entremêlement des politiques de la vie quotidienne et de la création de nouvelles formes d'art, qui informe à la fois un historique de centres artistiques autogérés qui est souvent oubliée par les temps qui courent. En effet, le Western Front, établi à Vancouver dans les années 1970, débuta en tant que commune artistique pour un groupe d'artistes locaux qui furent déplacés et sans abris dû à la croissance du secteur immobilier. C'est dans ce contexte spécifique que les artistes du Front ont contribué au développement de l'Intermedia et de l'art vidéo féministe. Cela fait que cet historique est non seulement important dans notre analyse de la relation entre les médiums artistiques et les corps, il est aussi pertinent dans notre analyse des institutions. Où sont les centres artistiques autogérés aujourd'hui et quelle est leur relation à l'institutionnalisation?

Résistance_adhérence

Dans cette 17e édition de .dpi, les chroniques se sont, elles aussi, lancées dans l'exploration de la résistance_adhérence. Dans une édition inhabituelle de notre chronique « Dans l’atelier », Emilie Houssa porte notre attention sur l'œuvre du duo vidéo français composé de Maria Klonaris et de Katerine Thomadaki. De ce fait, elle présente une perspective différente sur ce qui à trait au développement d'Intermedia de l'autre côté de l'Atlantique/Pacifique, tout en se concentrant sur la problématique de la transmission de l'avant-garde et, par association, la transmission de la résistance.

La chronique « Actualité » de cette édition, présentée par Nathalie Bachand, souligne le travail de plusieurs artistes médiatiques du Pérou et du Brésil dans le cadre de l'exposition « Contrainte/Restraint ». Alors que les œuvres qui y sont présentées mettent de l'avant des stratégies pour chambouler la modernité, elles révèlent ironiquement la violence même de cette dernière, non seulement dans le sud, mais aussi dans notre monde occidental soi-disant « développé ».

Dans la même branche, Albertine Bouquet nous rappelle avec justesse dans sa chronique régulière que, contrairement à ce que peuvent croire plusieurs libéraux, nous n'en avons malheureusement pas fini avec le 20e siècle… Cette conscience est également un acte politique nécessaire, une autre prise sur la résistance_adhérence.

Traduit de l'anglais par Elie Messiaen