ðAdemo.studioxx.org:8080/demo/fr/no/02/aitre-ou-ne-pas-aitre-par-marie-christiane-mathieu./demo.studioxx.org_8080/demo/fr/no/02/aitre-ou-ne-pas-aitre-par-marie-christiane-mathieu.htmldemo.studioxx.org:8080/demo/fr/no/02/retour-du-cyborg-par-sarah-brown./demo.studioxx.org_8080/demo/fr/no/02/aitre-ou-ne-pas-aitre-par-marie-christiane-mathieu.html.zx‰VÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÈÖ µ|OKtext/htmlutf-8gzip¨£Ç>µ|ÿÿÿÿMon, 05 Oct 2015 04:46:01 GMT`*ÿ°*ÿÐ*ÿ +ÿÀ+ÿP,ÿ‰Vÿÿÿÿÿÿÿÿ†)µ| Aître ou ne pas Aître, question d'architecture :: Marie-Christiane Mathieu | .dpi: la revue électronique du StudioXX
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Aître ou ne pas Aître, question d'architecture :: Marie-Christiane Mathieu

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Lorsque l’on participe à une expérience réseau on est saisi par l’intensité qu’elle produit. Travailler, échanger avec une communauté répartie sur le vaste territoire géographique qui attend de nous un signal, un feed-back, une participation soutenue donne une sensation très puissante. Tout à coup nous faisons corps avec une entité active qui déploie ses stratégies au sol via une panoplie d’appareils numériques qui connectent et animent à distance. Mise au point pour commander, contrôler et communiquer, c’est une machine de guerre prise en main par les grandes corporations et les gouvernements que nous utilisons. Nous agissons dans un espace sauvage où il faut sans cesse prouver notre innocence afin d’en négocier l’accès. Loin du Net95 où l’éthique d’Internet s’ancrait dans une volonté d’ouverture et de liberté, les politiques qui régissent désormais le réseau imposent leurs lois de contrôle toutes empreintes de protectionnisme bien camouflé sous la Menace qui nous guette. Suivant le mode ubiquitaire développé par les cybernéticiens qui comprirent dès les années 1940 que la diffusion de l’information était plus importante que la présence physique et que là où portait la parole et les idées s’étendait aussi le contrôle et, indirectement, l’existence physique de l’Homme, Internet offre un espace bipolaire qui ne peut être gouverné car comme l’a écrit Lawrence Lessig dans Code and Other Laws of Cyberspace, sa raison d’être est de résister à la régulation. C’est un espace que l’on infiltre et dans lequel il y a toujours possibilité d’invention et d’action.

Espace à échelle variable le réseau numérique se caractérise par son élasticité, sa pliabilité et sa capacité à se résorber en un instant. Il transgresse les standards et les normes de nos architectures rigides, s’infiltre partout, s’adapte et disparaît en un seul click! Il se fait et se défait selon les besoins, les événements, les ressources disponibles. Résultat d’une configuration d’appareils numériques qui permet la cyberception, il fusionne l’intérieur et l’extérieur. Il est qualifié de liquide, de fluide et de poreux.

Aborder le dedans et le dehors des réseaux et les liens possibles entre les deux, nous entraîne dans une redéfinition des codes informatiques et architecturaux. De quel intérieur et de quel extérieur parlons-nous? Si nous parlons de l’intérieur du réseau nous parlons sans doute de l’intersubjectivité qui se réfère aux individus et à leur capacité d’échanger leurs idées. Ainsi, parler de réseau nous amène à réfléchir à la personne qui est connectée, à ses émotions et ses intuitions, bref à sa subjectivité. Contrairement à l’objectivité qui est organisée et structurée dans un cadre social empreint de codes, de conventions et de distanciation, “l’objectivité existe en dehors de l’esprit” 1.., la subjectivité varie selon les choses qui arrivent. “Elle donne la primauté aux états de conscience que les phénomènes suscitent” 2 . L’apparition de l’Internet nous invite à considérer alors un troisième espace, subjectif et objectif en même temps. L’Internet, comme le télégraphe et le téléphone, est un système vectoriel qui connecte des relations dispersées. Par contre, contrairement au télégraphe et au téléphone, il est un monde à lui seul. Plus qu’un simple service d’échange, il est dans nos vies un espace viable dans lequel nous passons du temps. Cet espace peut être perçu comme un espace utopique dans lequel nous partageons avec une communauté virtuelle, “comme si dans ces moments, précisément, toute forme de séparation ou de fragmentation de notre conscience se trouvait miraculeusement abolie” 3 . Ce mode de fonctionnement repose sur la vision édénique de la communication, de l’être et du “penser ensemble”, du Mind at large tel qu’avancé par Gregory Baterson. Mais c’est aussi le lieu d’une nouvelle solitude qui obéit à une économie de l’ego en répondant à l’insistance politico-économique des gouvernements et des entreprises qui transforment la cité en espaces rentables délaissant le citoyen, son client 4, spectateur de sa propre existence. Le réseau relie des individualités éloignées. Être seul tout en étant connecté aux autres, collaborer tout en restant isolé, le réseau crée de la proximité dispersée.

Cet univers hybride et transversal délaisse les lois rigides de la géométrie euclidienne, de la logique du subjectif et de l’objectif, de l’intérieur et de l’extérieur en effaçant les différences naturelles et artificielles des prothèses électroniques et du corps humain. Cette fusion de l’espace vectoriel, de l’organisme vivant et de sa subjectivité échappe aux correspondances formelles établies par le modèle anthropomorphique pour s’orienter vers une forme relationnelle “qui génère des liens, et qui resserre l’espace des relations” 5 . On fait coexister différents systèmes dont les capacités de connections et d’interactions prévalent sur une définition formelle fixe en considérant la machine et l’homme sur un niveau égal, évalués non sur leur capacité à se ressembler physiquement mais sur celle de pouvoir communiquer.

In this way the body becomes an inter-media surface, the field for a dual experience between real space and virtual space which thereby acquires a new single dimension. And this dislocation of the corporeal experience can open the way to a new interrogation of the world and ourselves and, consequently, the possible ways of being a body that-becomes-space.6

Tout comme le Cyborg de Donna Haraway, cet hybride de nature, résultat de l’amalgame d’espaces, d’identités et de technologies, qui s’applique à conclure la fin de l’Homme – incarnation emblématique de l’Occident – en détournant les visées de la machine de guerre afin de produire un engagement social, notre corps s’intègre au réseau comme un élément communiquant et se dissout dans l’aire de travail où il y a échange, collaboration et action. Le virtuel rencontre le réel pour créer une entité dont les participants actifs mesurent l’ampleur. On est devant un aître (aire+être) hors du commun qui possède ses propres règles et dont le pivot se consolide autour d’un projet précis. Emprunté à Henry Maldiney et Georges Didi-Huberman, le concept d’aître englobe l’hétérogénéité et les incongruités propres au réseau. Georges Didi-Huberman le décrit ainsi:

Peut-être faudrait-il, pour en mieux saisir l’enjeu, convoquer le mot anachronique d’aître, qui a la particularité phonétique, en français, de retourner une notion de lieu sur une question d’être. Ce mot a d’abord signifié un lieu ouvert, un porche, un passage, un parvis extérieur (l’étymologie invoque le latin etcetera) ; il s’emploie également pour désigner un terrain libre servant de charnier ou de cimetière ; il s’utilise aussi pour nommer la disposition interne des diverses parties d’une habitation; il a fini par désigner l’intimité d’un être, son for intérieur, l’abysse même de sa pensée.7

L’aître est un lieu de passage d’un état et d’une position à une autre, d’une existence à une autre. Il propose un habitat à membrane filtrante et infiltrante. Il est tout à l’image de la matrice qui n’existe ni pour elle-même ni par elle-même mais qui transforme le projet selon l’intervention d’une tierce partie. On pourrait dire qu’il est semblable au concept de l’intervalle qui considère le temps comme un espace d’action et l’individu comme élément indéterminant, c’est-à-dire un élément qui propose un nombre infini de solutions et influence de façon imprévisible le devenir du projet. L’aître ouvre sur une très belle utopie, celle de la fusion de l’espace pratiqué et de l’espace intérieur de l’individu, habitacle fluide et extrêmement communiquant. Utopie rafraîchissante qui fait écho aux propos d’Elizabeth Grosz et de Luce Irigaray qui, contestant la rigidité des architectures contemporaines, lesquelles enferment et cloisonnent, revendiquent des espaces potentiels plus aptes à accommoder le mouvement, les changements et la circulation. Utopie qui ouvre la voie à de nouvelles manières d’habiter et de communiquer avec le monde afin de mieux intervenir sur celui-ci.

To produce an architecture in which "women can live" (to use Irigaray's formulation) is to produce both a domestic and a civic architecture as envelop, which permits the passage from one space and position to another, rather that the containment of objects and functions in which each thing finds its rightful place. Building would not function as finished object but rather as spatial process, open to whatever use it may be put to in an indeterminate future, not as a container of solids but as a facilitator of flows: “volume without contour”, as Irigaray describes it in Speculum.8

Comme l’a dit Roy Ascott, “Tu es dedans ou tu es nulle part et quand tu es dedans, tu es partout” 9. Nous sommes donc en présence de productions éphémères qui permettent une recréation constante du lieu et de la communauté, une réinvention continuelle du quotidien et des relations qui en définissent le volume. Nous sommes devant une foullitude d’états-naissants qui arrivant à maturité disparaissent pour renaître ailleurs, libres et mobiles.

L’aître prend sa dimension dans les embranchements du réseau, il communique par l’entremise de parois de plus en plus minces, de plus en plus sensibles. Nos ordinateurs deviennent des alcôves qui nous isolent pour mieux nous transporter. En considérant les particularités du réseau avec ces multiples interfaces et les rapports à la matérialité qu’elles modifient, nous ne pouvons qu’anticiper le reste, architectures aux parois poreuses qui permettent les passages d’états et de lieux; réseau d’appareils interconnectés qui se déploie sur le territoire, dans le réel, en regroupant les ressources et les idées à distance pour mieux intervenir autre part… De l’industriel et du militaire nous passons au domestique. Nos demeures deviennent à leur tour des noeuds, points de jonction et de relation, des habitacles dans lesquelles nous nous glissons comme dans un vêtement pour ne faire qu’un. Nous nous infiltrons pour mieux nous propager.

Aître ou ne pas aître? En devenant des aîtres nous vivons des intensités. Nous nous répartissons sur le vaste territoire géographique qui attend de nous un signal, un feed-back, une participation soutenue. Nous devenons une entité d’actions qui déploie ses mécanismes au sol via une panoplie d’appareils qui connectent et animent à distance. Fruit d’agencements technologiques mis au point pour commander, contrôler et communiquer, nous sommes une machine de guerre. Nous agissons dans un espace sauvage où il faut sans cesse prouver notre innocence afin d’en négocier l’accès. Mais nous ne pouvons être gouvernées car notre raison d’aître est de résister à la régulation.

Notes

1. Dictionnaire Hachette Multimédia © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2000, Version 6.0
2. Dictionnaire Hachette Multimédia © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2000, Version 6.0
3. Fred Forest , 1984, Manifeste pour une esthétique de la communication, disponible sur Internet à
http://www.webnetmuseum.org/html/fr/expo_retr_fredforest/textes_divers/4manifeste_esth_com_fr.htm#text
4. “Le grand défi du MRQ à l’aube de l’an 2000 consiste à rehausser la confiance des contribuables et de nos mandataires, par la qualité du travail de nos employés et par la qualité des relations avec les contribuables qui sont aussi des clients. (…)Parce que les contribuables et les mandataires du MRQ sont aussi des clients, nous sommes donc présentement à revoir nos façons de faire afin de mieux répondre aux besoins de ceux et celles que nous avons le mandat de servir avec respect et courtoisie.” NOTES EN VUE DE L’ALLOCUTION DE LA MINISTRE DELEGUEE AU REVENU MME RITA DIONNE-MARSOLAIS A L’OCCASION DU 23E CONGRES DE L’ASSOCIATION DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIERE (APFF)
MONTREAL, LE 8 OCTOBRE 1998
5. Nicolas Bourriaud, 2001, Esthétique relationnel, p 14.
6. Marie Luisa Palumbo, 2000, New Wombs, Electronic Bodies and Architectural Disorders, p65.
7. Georges Didi-Huberman, 2000, Etre Crâne, lieu, contact, pensée, sculpture, Les Éditions de Minuit p 32
8. Elizabeth Grosz, 2001, Architecture from the Outside, Essays on Virtual and Real Space, p.164.
9. Roy Ascott, 1995 "Télénoïa" in Esthétique des arts médiatiques