Télé-visite au Musée de Rose-Marie Arbour. 1976 et 2013 des années similaires en termes de diffusion de l’art?

Onglets principaux

No:

29 « 100% Montréal »

Type de contribution:

Court essai

Mot-clés:

Résumé

Regard sur le projet d’émission Télé-visite au Musée (1976), orchestré par l’historienne de l’art Rose-Marie Arbour, qui n’a finalement jamais été diffusé à la télévision. Traitant précisément de la série d’entrevues préparatoires qui a mené à la réalisation du premier épisode de ce projet, cette chronique rapporte les enjeux de la diffusion de l’art dans les années 1970 à Montréal aux yeux de femmes d’importance issues du milieu culturel. Les critiques du système artistique en vigueur à cette époque, véhiculées dans ces documents filmés, permettent d’établir des liens avec la réalité actuelle du milieu artistique montréalais, et plus largement au Québec, ainsi qu’au pays.

Image : Rose-Marie Arbour, Télé-visite au musée, 1976. Photo : Rose-Marie Arbour avec l'autorisation de Vidéographe.

 

L’actualité artistique montréalaise de la dernière année a permis de rendre compte à de nombreuses reprises des revers du Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) qui semble, depuis quelques années déjà, engourdi ou simplement en crise identitaire[1]. Plusieurs articles ont paru à ce sujet, dont ceux rédigés par le critique d’art au journal Voir Nicolas Mavrikakis. Ces derniers n’ont pas manqué de mettre en doute les départs du personnel, comme ceux remarqués de Marie Fraser et de Paulette Gagnon, mais aussi les formules plus commerciales mises sur la table qui auraient pour effet d’accentuer la fréquentation du musée pour le meilleur ou pour le pire. Dans le cadre de cette deuxième chronique portant sur le répertoire vidéographique Vithèque, j’aborde, à l’aide de documents vidéo archivés, la place occupée tant en 1976 et 2013 par le MAC et d’autres lieux de diffusion au sein de la communauté montréalaise, qu’elle soit celle des artistes, des professionnel-le-s de l’art ou des publics.

1976. L’époque du Portapak et des images filmées dans le cadre d’une série d’entrevues préparatoires, plutôt inégales, pour l’émission Télé-visite au Musée réalisée par l’historienne de l’art Rose-Marie Arbour [2]. Chapeauté par l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et destiné à la diffusion par satellite, ce projet télévisuel à caractère sociologique, qui n’a jamais été diffusé à la télévision comme prévu, se révèle riche en contenu malgré la pauvreté des moyens, la fixité de la caméra et un manque flagrant de dynamisme. Produite dans le cadre des recherches d’Arbour alors qu’elle était professeure au Département d’histoire de l’art de l’UQAM, cette unique émission s’articule autour d’entretiens exécutés auprès d’acteurs clés du milieu de l’art contemporain à Montréal[3]. Quiconque consulte ces archives, constituées de nombreux commentaires critiques sur le système de l’art de l’époque et des souhaits sur le futur du milieu, ne peut s’empêcher de les comparer avec la réalité actuelle, contrainte à un régime minceur par l’État, et de dresser un bilan des quarante dernières années du monde de l’art d’ici.

1976.  Une année où les femmes sont bien présentes dans le milieu artistique montréalais. Du moins, Rose-Marie Arbour leur aura donné une place d’importance dans cette production. C’est aussi cette professeure qui aura agi en tant que commissaire invitée pour l’exposition Art et féminisme tenue au MAC en 1982 et publié à de nombreuses reprises sur les pratiques artistiques des femmes au Québec[4]. Dans cette série d’entrevues, elle s’entretient notamment avec Fernande St-Martin qui occupe le poste de directrice du MAC. St-Martin est cette théoricienne de l’art particulièrement reconnue pour ses écrits sur l’abstraction picturale dans le champ de la sémiologie. Elle démontre avec grand sérieux les objectifs initiaux qui ont motivé la construction du musée en 1968. Érigé à la Cité du Havre dans l’intention d’accentuer la diffusion de l’art contemporain et particulièrement québécois aux divers publics muséaux, nous apprenons que, malgré l’ouverture du MAC, le nombre d’artistes à cette époque est en constante progression et que les possibilités de diffusion demeurent laconiques.

Fernande St-Martin, Entrevue avec Fernande St-Martin, 1976. Photo : Rose-Marie Arbour avec l'autorisation de Vidéographe.

Image : Fernande St-Martin, Entrevue avec Fernande St-Martin, 1976. Photo : Rose-Marie Arbour avec l'autorisation de Vidéographe.

Pour St-Martin, la médiation de l’art représente un enjeu fondamental. En effet, elle souligne l’importance de créer un langage permettant de rendre l’art accessible aux divers publics du musée. Or, les catégories et critères d’évaluation de l’art de St-Martin s’avèrent grandement formalistes et démontrent à quel point les nouvelles directions entreprises par les artistes - de remise en question de l’institution muséale en soi - ne peuvent plus être strictement analysées dans ces termes. Malgré ce léger décalage avec les changements opérés par les artistes à cette époque, il faut se souvenir que l'achalandage au musée, comme le précise St-Martin, doit être accentué. Plus près de nous maintenant, les démarches de restructuration mises en place dernièrement par l’administration du MAC - divulguées dans les médias par son directeur lors de l’émission Tout le monde en parle - démontrent que le fameux public dont il faut développer l’intérêt en 1976 manque toujours à l’appel en 2013. Sur ce point, la situation a peu changé en presque 40 ans.


Image : Francine Larivée, Entrevue avec Francine Larivée, 1976. Photo : Rose-Marie Arbour avec l'autorisation de Vidéographe.

Image : Francine Larivée, Entrevue avec Francine Larivée, 1976. Photo : Rose-Marie Arbour avec l'autorisation de Vidéographe.

Par ailleurs, l’entrevue d’Arbour avec Francine Larivée intervient dans ce projet en tant que critique de l’espace muséal à partir de la position de l’artiste. En exposant l’expérience qu’elle tire de son œuvre La chambre nuptiale (1976), Larivée souligne l’intérêt chez les artistes de se tourner davantage du côté de la réalisation d’œuvres à grande échelle, performatives et parfois hors les murs. Composée de trois salles à travers lesquelles le public était appelé à circuler, La chambre nuptiale a d’abord été présentée dans un centre d’achat au lieu du MAC et plus exactement à la Place Desjardins nouvellement construite. Dans son entrevue, la directrice du MAC, St-Martin, explique que le musée n’avait pas l’espace nécessaire pour accueillir cette installation en raison de sa taille ambitieuse. Mais pour Francine Larivée, le centre d’achat représente une occasion inégalée de joindre des publics différents. C’est aussi une façon d’être politique ; une avenue lui permettant de librement critiquer le mariage, qu’elle considère comme « bourgeois », qui lui aurait été sans doute refusée si elle l’avait exposée au musée ou en galerie. Elle affirme : « On ne peut pas être social et politique dans une galerie ».

Image : Détail de la Chambre nuptiale, Entrevue avec Francine Larivée, 1976. Photo : Rose-Marie Arbour avec l'autorisation de Vi

Image : Détail de la Chambre nuptiale, Entrevue avec Francine Larivée, 1976. Photo : Rose-Marie Arbour avec l'autorisation de Vidéographe.

Si elle s’est fait d’abord bouder par les instances subventionnaires gouvernementales avec ce projet, c’est à son avis en raison de son caractère engagé. Malgré ces difficultés, Larivée a réussi à obtenir un financement issu de tous les paliers gouvernementaux grâce à L’année internationale de la femme. À ce moment-là, comme elle le soutient, son projet lié aux femmes était le plus important au pays[5]. Le volet culture de l’organisation des Jeux olympiques ainsi qu’un programme à l’aide à l’emploi ont aussi permis d’assurer les ressources financières nécessaires à la réalisation de cette installation. Fait intéressant à noter, cette œuvre a finalement été exposée au MAC en 1982 dans le cadre de l’exposition Art et féminisme commissariée par Arbour. Mais qu’est-ce qui s’est passé six ans plus tard? Est-ce la caution d’une commissaire reconnue localement qui est venue consolider sa légitimité ou est-ce simplement le phénomène d’intérêt qui se manifeste souvent à rebours?

  Image : Lucette Bouchard et Rose-Marie Arbour, Entrevue avec Lucette Bouchard, 1976. Photo : Rose-Marie Arbour avec l'autorisa

Image : Lucette Bouchard et Rose-Marie Arbour, Entrevue avec Lucette Bouchard, 1976. Photo : Rose-Marie Arbour avec l'autorisation de Vidéographe.

Loin de vouloir simplement décrire ces documents vidéo d’intérêt historique et sociologique du milieu artistique à Montréal, je tenais principalement à souligner ici que la bataille économique et le développement de publics demeurent le nerf de la guerre tant pour les lieux de diffusion de l’art que pour les artistes. L’entretien avec Lucette Bouchard, codirectrice de la galerie MEDIA, qui était située à l’époque sur la rue Rachel Est tout près de Graff, expose que 23 centres autogérés existaient en 1976 à travers le Canada. Depuis, de nouveaux joueurs se sont ajoutés sur l’ensemble du territoire, et bien évidemment à Montréal, mais d’autres ont aussi disparu. La logique économique gouvernementale aujourd’hui en 2014 entraîne malheureusement un esprit compétitif entre semblables où les plus innovateurs seront récompensés au détriment des autres. Voilà un point qui semble avoir changé en 40 ans. Même si Fernande St-Martin défendait l’importance de créer un musée dans chacune des régions du Québec, à un moment où tout était à créer et tout restait à faire, cette ambition semble aujourd’hui illusoire. Les espaces de diffusion de l’art doivent faire des miracles avec des enveloppes de plus en plus fines et défendre constamment leur légitimité aux yeux des gouvernements. Cette légitimité est d’ailleurs de plus en plus fragilisée en raison des programmes encourageant la rentabilité et le développement de partenariat financier avec le domaine privé. Sans hausse attribuée au milieu des arts et de la culture, le budget fédéral 2015-2016, annoncé le 11 février dernier, continue bel et bien son régime d’austérité[6] garant d’incertitude.

 

Notes


[1] Le gouvernement provincial vient d’annoncer en date du 3 février 2014 sa contribution financière au projet d’agrandissement du musée qui devrait débuter en 2015. Voir: http://www.ledevoir.com/culture/actualites-culturelles/398928/le-musee-d-art-contemporain-annonce-un-important-projet-d-agrandissement

[2] Ces documents visuels sont diffusés dans leur intégralité sur la plateforme Vithèque. Grâce à la numérisation des bandes originales effectuée par Vidéographe, ces documents ont échappé à la destruction et sont dorénavant disponibles au public.

[3] Télé-visite a été la seule et unique émission produite dans le cadre de ce projet. Bien que cet article focalise sur la voix des femmes, il est important de mentionner que Rose-Marie Arbour s’est aussi entretenue avec Maurice Dermer et Normand Thériault. Ces entrevues se trouvent aussi intégralement sur le site de Vithèque.

[4] Plusieurs textes rédigés par Arbour sont disponibles sur ce site : http://classiques.uqac.ca/contemporains/arbour_rose_marie/arbour_rose_marie.html

[5] Yolande Dupuis (2005). « Francine Larivée et “La Chambre Nuptiale” ». Sysphe. [En ligne]. http://sisyphe.org/spip.php?article1698 (Consulté le 10 février 2014).

 

Julie Alary Lavallée compte des études de premier cycle en arts visuels (BFA Studio Arts) effectuées à l’Université Concordia et prépare actuellement sa thèse de doctorat à l’Université de Montréal (UdeM) en histoire de l’art sur l’art contemporain de l'Inde dans le champ des études muséales et du marché de l’art. Auxiliaire d’enseignement au Département d’histoire de l’art de l’UdeM, elle collabore en tant qu’auteure auprès de diverses galeries montréalaises dont Optica et Art Mûr. Outre la présentation de ses recherches académiques ici comme à l’étranger, Julie Alary Lavallée a publié sur l’art contemporain et la conservation du patrimoine. Membre du comité d’administration du Studio XX et de son comité de programmation depuis 2012, elle est récipiendaire du concours Jeunes critiques d’art de la revue esse arts + opinions (2011) et agit à titre de commissaire d’exposition indépendante. Polyglotte, elle s’intéresse à la fois aux phénomènes locaux et globaux de l’art et désire parcourir le monde!