Fais un homme de toi! Combattre la surveillance du genre sur le Web

Onglets principaux

No:

30 Cybersurveillance

Type de contribution:

Présentation

Résumé

Le corps des femmes est un territoire historiquement contesté eu égard au combat pour le contrôle mené par les hommes et plus tard par l'État patriarcal. Au gré de ses différentes phases et permutations, le féminisme a lutté pour la réclamation du corps en tant que sphère autonome. Le corps de la femme demeure toutefois un lieu de luttes : les femmes du monde entier sont engagées dans une bataille permanente pour l'autonomie, le contrôle, la protection et l'acceptation de notre physique.

Image: Esther Bourdages, Fenêtres, New York, circa 2000

 

L'avènement de l'ère de l'information et de la propagation de la connectivité sur Internet ont ouvert une frontière nouvelle, virtuelle. Il n’y a pas si longtemps, une ère est apparue pendant laquelle la barrière entre les sexes est tombée et les relations sociales plus égalitaires ont pu émerger. La vie à l'écran promettait la malléabilité de l'identité - de l'autoconstruction du soi. Elle suggèrait une « nouvelle ontologie du corps », redéfinissant le corps comme information, dorénavant post-humain et virtuel, cyborg de Haraway, désincarné et numérisé. La libération face aux limites de la corporéité, du patriarcat capitaliste, de la misogynie et d'autres structures et idéologies sociales oppressives était à seulement un clic de souris. Ou du moins, le semblait-elle.

Sur Internet, il est assez vrai que nobody knows you’re a dogToutefois, l'anonymat et les valeurs libertaires d'ouverture et de liberté de l'information n’ont pas dès le départ empêché les valeurs, les normes et les comportements «traditionnaux» de coloniser le world wide web. Alors qu’Internet est devenu une réplique et le reflet de la culture matérielle dominante, l'espoir d’un (cyber) monde autre et meilleur s’est dissipé. La promesse démocratique issue des balbutiements d’Internet s’est perdue au profit d’une avalanche de matériel pornographique destiné aux hommes, de forums haineux, de marketing ciblé et d'autres espaces et processus prédateurs genrés. Même en tant que sphère de travail immatériel -  un sous-produit de l’Ère de l’information - créant de nouveaux horizons, il a cultivé des moments d'exploitation nouveaux. Informatisées et désincarnées, les femmes sont encore devenues le sujet et l'objet du patriarcat capitaliste, mais cette fois à une échelle apparemment incommensurable.

Si le code peut être autrement politique grâce à d’autres moyens, la lutte pour l'égalité ne s’est pas terminée ; elle s’est simplement déplacée vers la sphère virtuelle. Le cyberespace a finalement émergé comme un terrain strictement genré où les normes dominantes et les inégalités sociales se sont reproduites sans le moindre effort. Cela s’observe particulièrement avec évidence dans le maintien de l'ordre des femmes (et des filles) en ligne. L'œil surveillant du patriarcat capitaliste a migré vers le domaine numérique, se manifestant sous des formes de contrôle social genrées, notamment par le biais de la cybersurveillance et de la cyberintimidation - le bullying, le chantage, le harcèlement, la prédation, le slut shaming et la propagation générale de la culture du viol.

Pourquoi avons-nous été surpris-e-s d'apprendre que le viol pouvait se produire dans le cyberespace ? Qu’Amanda Todd pouvait subir intimidation et humiliation sur les médias sociaux, jusqu'à ce qu'elle se suicide, laissant une note à propos de son geste sur YouTube. Qu’Elliot Rodger pouvait trouver un réconfort dans les forums haineux en ligne, et y faire circuler un manifeste détaillant sa “guerre contre les femmes” avant d’abbattre six personnes. Qu’Anita Sarkeesian continue d'être la cible d'une campagne haineuse perpétrée par les hommes pour avoir osé souligner la nature genrée des jeux vidéo.

Étions-nous vraiment surpris-e-s?

Comment l’ « informatisation du corps » (van der Ploeg 2003) est-elle devenue - une fois pleine de possibilités émancipatrices - le fondement de formes toujours nuancées de cybersurveillance qui ciblent la différence et produisent de nouvelles vulnérabilités pour les femmes et les filles, ainsi que les personnes trans et queer? Quels sont les éléments genrés et sexospécifiques de la vie en ligne et comment se manifestent-ils en tant que moyens de contrôle social? Comment une critique féministe et anti-capitaliste de la corporatisation d'Internet peut contribuer à une société plus libre et égalitaire? Quels sont les modes de résistance que nous créons? Et pouvons-nous renverser la culture misogyne par «Fais un homme de toi» et réclamer Internet comme un espace et un outil de libération?

Ce numéro thématique explore ces questions en traversant, pointant et élargissant la place occupée par le cyberespace qui les produit, les propage et les rend possible. Trevor Scott Milford et Ciara Bracken-Roche examinent "la surveillance sociale» - la façon dont nous nous surveillons les uns les autres sur les sites de réseautage social - offrant une critique féministe sur la façon dont elle influence l’agentivité, le contrôle de l'auto-représentation et la construction de l'identité en ligne. Mikhel Proulx élargit la déconstruction de l'identité virtuelle à la performance queer contemporaine en ligne, tenant compte de la façon dont les forces techno-idéologiques façonnent nos corps, et comment nous pouvons résister aux identités codées de la culture numérique dominante. Dans son compte-rendu de Women, Art and TechnologyStella Marrs aborde le travail visuel et la recherche de cinq femmes offrant une critique anti-capitaliste féministe de l'activité Internet, notamment par rapport aux stratégies de résistance à la surveillance par le nexus-étatique-corporatif et aux pratiques alternatives dans le cyberespace.

Jillian Mayer reconnaît la réalité de la surveillance étatique pendant qu’elle guide les spectateur-trice-s au cours de la présentation d’un guide vidéo d’utilisation sur la subversion omniprésente de la surveillance urbaine par le truchement de caméras vidéo, de capteurs et de dispositifs de reconnaissance faciale. Si Internet tel qu’il est aujourd’hui se manifeste comme une machine de surveillance qui intègre les contours de l'oppression, la contribution collective de Wednesday Lupypciw, Nicole Burisch, and Diana Sherlock dépeint un internet féministe. Ces dernières proposent une réalité alternative selon laquelle le désir queer féministe devient l'impulsion pour créer, contrôler, profiter des espaces et des interactions en ligne. Annie Malamet utilise dans sa vidéo le métahumour afin d’explorer la culture de l'anonymat et de l'aliénation vécue chez les individus lorsqu’ils se diffusent en ligne, et plus particulièrement l'accès à Internet, plateforme facilitatrice de l'exploitation sexuelle des femmes.

Dre Kate Milberry enseigne à l'Université d’Alberta dans le cadre du programme d’études supérieures en communication et en technologie. Ses recherches examinent l'impact de la surveillance de l'État sur ​​les mouvements sociaux et la façon dont la démocratisation de la technologie du Web peut contribuer au changement social progressif. Son travail récent pour le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada examinait les implications des systèmes de gestion d’identité numérique et de télé-gouvernement sur la confidentialité. Dr Milberry a complété un stage postdoctoral à la iSchool de l'Université de Toronto et un doctorat en communication à l'Université Simon Fraser. Elle est commentatrice des technologies pour la radio CBC et agit en tant que blogueuse pour geeksandglobaljustice.com. Elle est @KateMilberry sur Twitter.