.dpi 22 : Culture libre

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No:

22 Culture libre

Type de contribution:

Éditorial

Mot-clés:

Plus encore aujourd'hui qu'il y a dix ans, la mise en partage des créations, des découvertes et des innovations, est placée sous le radar des inspecteurs de la propriété privée. Face aux assauts rhétoriques et récurrent des industries « créatives » et des gouvernements qui martèlent que le copyright et le droit d'auteur sont le salut de la culture, des artistes et des bidouilleurs rendent public et font circuler leurs réalisations, leurs façons de faire et leurs inventions. Elles et ils reprennent, détournent, recyclent et réinventent, en luttant et en s'amusant. Elles et ils se réclament d'une culture libre, qui fait mouvement et qui est discours, mais discours polyglotte.

Extension du domaine du libre, pris(m)e de liberté, traduction d'univers ou rétablissement d'un état nature, la culture libre peut-elle s'interpréter librement ? Au fond, en quoi fait-elle culture ? Quelle liberté incarne-t-elle ? Contre quoi se bat-elle ? Quels matériaux et quels rapports travaille-t-elle ?

Dpi22 Culture libre présente une pluralité de propositions, qui rentrent en tension, fourchent et se
désaccordent. Au fil des pages, les propositions constituent un dialogue d'artistes-penseur/euses de cette culture et de cette liberté et témoignent d'une dynamique virulente.

Les sept auteurs invité.e.s nous parlent depuis la Macédoine, l'Australie, la France, le Canada. Elles et il racontent des parcours qui transcendent ces frontières mais en connaissent les jougs juridiques, commerciaux et moraux. Leurs analyses et leurs pratiques évoquent les luttes et les contre-pied à la privation et la privatisation, et par là s'affilient aux militantismes issus de l'informatique libre. Elles et il foulent aussi les transitions, les traversées et les explorations poétiques, ludiques et politiques et peuplent nos expériences relationnelles et technologiques, de désir, de profondeur, de transgression, de curiosité et de respirations.

Certain.e.s prennent à bras le corps, la culture et la liberté, la culture de la liberté, les libertés de la culture, ses composantes, ses courants, ses failles, ses lueurs, ses endormissements. D'autres prennent de la distance et décrivent ce qui émane de ces créations et prises de position. Poétique tectonique des plaques épistémologiques, la culture libre joue et se joue de l'appropriation des formats, des matières, des objets, des disciplines et des médiations. Avec du balbutiement certes, dans certaines des esquisses. Avec du large dans les mailles du réseau. Mais avec des jalons qui prennent ancrage et font mèche.

Aymeric Mansoux s'interroge sur ce que le libre veut dire, quand l'art le trempe à toutes les sauces, quand on le brandit comme drapeau, quand il devient effet de style. Quand il est partisan, réflexif, militant ou quand il transpose. En analysant les façons dont l'art interprète la culture libre, il nous amène à regarder les courants qui s'opèrent, les remaniements, les baptêmes à tous vents et les œuvres qui font route et secouent en profondeur le système culturel dominant.

Pascale Gustin travaille le texte et le code source, comme autant de texture et de matériaux. L'information qui circule entre elle, son ordinateur et le réseau est un environnement ramifié. L'univers numérique est un flux, un fleuve, qu'elle passe entre ses doigts pour y ressentir la consistance. Carnaval et carême est un texte œuvre, qui se développe en réfléchissant aux conditions sinequanon de la création à l'ère numérique.

Hacker, féministe, performeuse et théoricienne, Nancy Mauro Flude nous emmène dans un univers où les jouets et les techniques sont désacralisés, où les petites filles fouillent et bidouillent leur collection de poupées, où ustensiles, instruments, dotes et accessoires ont le droit d'être découverts, auscultés et transformés. Magies grises, détournements, dérives et prises de pouvoir sont autant de subterfuges sensibles et subversifs, par lesquels l'artiste exhorte, triture, explore l'esthétique politique de l'esprit libriste.

Observant comment la biologie synthétique s'inscrit dans le paysage scientifique contemporain, Britt Way présente un abordage entre science, culture libre et esprit hacker. Cette discipline qui analyse, conçoit et synthétise de nouveaux systèmes et fonctions biologiques milite pour une science ouverte, citoyenne et accessible. Elle met aussi le doigt sur des questions brûlantes en matière d'éthique et de philosophie (de la brevetabilité du vivant à sa manipulation, en passant par les formes de propriété intellectuelle propre aux univers scientifiques). Réappropriation d'une chasse gardée par une élite scientifique, la biologie synthétique replace découvertes et débats au cœur de la société. L'avancée des connaissances est une affaire publique. Cette évidence n'avait été décousue qu'en apparence, la même qui privatise, commercialise et élitise l'accès, la recherche, le partage et la création de connaissances.

Sarah Boothroyd poursuit la pratique de la liberté au moyen d'enregistrement, en cueillant, associant et tissant les paroles libertaires des tumultes qui émanent des territoires sociaux et médiatiques contemporains. La liberté est dans la rue, elle se prend, elle se reprend. Il y a des filtres dans le partage. L'artivisme de Sarah Boothroyd consiste à assembler et faire circuler, bien après leur expression, l’écho des révoltes, des cris et des prises de parole. Par delà des archives endormies, les parcelles de luttes reprennent vie pour notre mémoire collective.

Réfléchissant aux origines culturelles et langagières du combat engagée par la culture libre, Dragana Zarevska et Yasna Dimitrovska s'amusent de cette manie qui consiste à apposer des licences sur la mémoire collective, la culture ambiante et la création. Elles performent ces privatisations en rendant hommage à leur absurdité. Elles défient la chape économique ambiante et installent des mises en scène dont le mouvement salut avec cynisme les resserrements de ceinture et la sclérose culturelle qui les entourent.

Anne Goldenberg s'intéresse aux aspects politiques, épistémiques et poétiques des plate-formes collaboratives et des dispositifs participatifs. Elle possède un doctorat en communication (UQAM, Montréal) et en sociologie (Unice, Nice) et a rédigé une thèse sur « la négociation des contributions dans les wikis publics ». Ce travail théorique l'a amené à observer et explorer via diverses formes (multimédia, sculpture sociale, performance et installation) la poétique de la contribution collective. Dans la fibre de la culture libriste, elle explore notamment le rapport aux dispositifs techniques, aux matières numériques, au public et au collectif. Facilitatrice de forum ouvert et de booksprints, elle aime jouer à rendre visible, lisible et malléable, les processus de co-construction de connaissances.