Owen Eric Wood et l’art du choix naturel et controversé de l’étiquette

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No:

28 Gender(ed) Cultures on the Internet

Contribution Type:

Field Studies

Keywords:

Abstract

This inaugural column, dedicated to the development of the Vithèque online independent video catalog, begins by looking at work by Canadian artist Owen Eric Wood through two complementary pieces produced in 2008. With disconcerting lightness, The Clothes Make the Man and Made Up address the multiple and continuous decisions that lead to the construction of our personality, of our clothing styles and even our aesthetic inclinations. But behind the apparent futility of these criteria of beauty there is nevertheless a complex and dark dimension, which is active daily and often forgotten, and on which our prejudices are based as well as social and gender discrimination.

Image : Owen Eric Wood, The Clothes Make the Man, 2008. Photo : Owen Eric Wood avec l'authorisation de Vidéographe.

 

Sillonner Vithèque avec .dpi

Dans un esprit d’accentuation des liens collaboratifs auprès d’organismes culturels établis à Montréal, l’équipe de .dpi lance aujourd’hui une chronique récurrente dédiée aux œuvres produites avec le soutien du centre d’artistes Vidéographe. Compte tenu de leur grand nombre, de leur qualité reconnue et des liens que certaines vidéos partagent avec le mandat de la revue, .dpi saisit l’occasion d’accentuer leur présence dans le discours sur l’art.

Depuis déjà quelques années, Vidéographe gère Vithèque, une plateforme web constituée de près de 1500 œuvres vidéographiques compilant les catalogues d’organismes culturels, dont celui d’ELEKTRA, et de plusieurs artistes indépendants. Il renferme également environ 700 œuvres produites au cours des 40 ans d’existence de ce centre d’artistes qui a évolué sur la scène artistique en tant que première institution nationale spécialisée en production vidéographique.

Point important à souligner, les législations du droit d’auteur y sont respectées, ce qui n’en fait pas un site de consultation totalement libre d’accès. Un processus d’inscription et des frais d’utilisation sont exigés. Mais, Vithèque offre toutefois des extraits assurant une bonne idée des œuvres répertoriées. Les abonnés de BAnQ ont aussi accès, depuis février dernier, à 1000 œuvres listées sur cette plateforme web.

Owen Eric Wood et l’art du choix naturel et controversé de l’étiquette

Julie Alary Lavallée de .dpi

À l’aide d’une pratique majoritairement vidéographique, l’artiste multidisciplinaire Owen Eric Wood se met lui-même en scène dans un monde sensible aux questions identitaires et des genres. Inspiré de l’environnement qui l’entoure et qui le concerne, Wood procède à une construction personnelle de cette réalité qu’il s’adonne à critiquer au moyen d’un processus efficace et inverse de déconstruction. Récemment diplômé de l’Université de Windsor à la maîtrise en arts visuels (2013), Wood compte une feuille de route bien remplie avec une participation exemplaire dans le cadre d’une multitude de festivals et d’expositions tenus dans plus de 30 pays. L’amorce de cette chronique avec le travail de Wood s’impose d’elle-même. L’habileté avec laquelle il réfléchit à la question étriquée de la représentation du monde social en fait un artiste dénonciateur des rapports de force. Inscrits dans l’espace social, ces liens de pouvoir forment la pierre angulaire de .dpi avec son mandat tourné vers la compréhension et la critique de leur fonctionnement. 

Dans The Clothes Make the Man, Wood défile à l’écran dans une multitude d’arrangements vestimentaires, souvent amusants, à mesure que ce succèdent les plans. Mais, le projet n’en reste pas là. Il accroît la complexité de la mécanique en juxtaposant à ses constructions vestimentaires une série des qualificatifs stylistiques et sociaux. Le texte ajouté vient soudainement activer des stéréotypes et des étiquettes à partir desquels les être humains sont classés. À travers cette association texte-image, Wood utilise son pouvoir d’artiste en établissant un regard dénonciateur des relations existantes entre les vêtements et les classes sociales, les idéologies politiques et les orientations sexuelles. Porteur d’une étiquette lourdement connotée, le vêtement devient ainsi un objet qui - malgré la variété des styles, des couleurs et des combinaisons possibles aussi inoffensives qu’elles peuvent le sembler - participe à un processus associatif inévitable et continuel. Cette œuvre déploie sournoisement ses qualités moralisatrices  : elle nous rappelle à quel point nous sommes tous-tes, sans exception et à tous moments, catégorisé-e-s sous le regard des autres. Ne vient-elle pas également nous faire comprendre que nous reconduisons inconsciemment ce processus discriminatoire d’étiquetage au quotidien?

Owen Eric Wood, extrait de The Clothes Make The Man, 2008.

Avec Made Up, l’artiste entremêle plus explicitement le format de l’autoportrait à la fiction. Cette imbrication fictionnelle et autobiographique représente une caractéristique typique de sa pratique. Wood y personnifie un homosexuel dévoilant avec suffisance son penchant marqué envers les gais peu efféminés. Au cours d’une entrevue diffusée sur les ondes de la radio CKUT, Wood expose l’objectif de cette vidéo en tant que critique des comportements homophobes observés parmi la communauté homosexuelle masculine. « Well, I wanted to make Made Up as kind of a reaction to an observation I made among the queer community, mostly in terms of what gay men want in each other. In the video, I become what I am criticizing »[1].

Au fil de la vidéo, nous en apprenons davantage sur la vision du protagoniste au sujet de la façon dont les homosexuels devraient se comporter : « Gay people should be, um, should be masculine. They should act like men »[2]. Au cours du défilement de ces paroles subjectives et à caractère coercitif, nous assistons à la transformation des traits du personnage par l’ajout excessif de maquillage qui les recouvre à un point tel qu’ils tendent à leur extrême effémination, voire même à leur déshumanisation. Par l’entremise de manipulations sonores et visuelles à la fois explicites et efficaces, les mutations corporelles opérées sur le personnage contredisent progressivement les propos entendus. Wood vient ainsi confirmer de nouveau la nature construite de la vidéo et réaffirmer l’habileté naturelle, et parfois excessive, que nous avons de définir les autres et de (re)produire les clivages sociaux.

Owen Eric Wood, extrait de Made Up, 2008.

Lors du visionnement des extraits de ces œuvres, vous aurez peut-être cette pensée : celle de croire que ce jeu étroit entre la forme biographique, un peu narcissique, et fictionnelle résulte d’un fin stratège où l’on finit par se demander jusqu’à quel point l’artiste se représente lui-même avec ses pensées et ses conceptions propres. Mais de toute façon, c’est un peu comme se poser une fausse question, car il ne faut surtout pas oublier que la représentation n’est jamais tout à fait la réalité.




[1] « Interview » http://www.owenericwood.com/madeup/madeup_interview.html, page consultée le 10 octobre 2013.

[2] Owen Eric Wood (2008), « Made Up », Vithèque, http://www.vitheque.com/Fichetitre/tabid/190/language/fr-CA/Default.aspx (page consultée le 10 novembre 2013).