Les HTMlles – 1 à 10

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No:

26 Risky Business

Contribution Type:

Short Essay

Keywords:

Abstract

and a quick revisiting of “Les femmes voulaient-elles vraiment utiliser des ordinateurs?”
by Kathy Kennedy

Les HTMlles – 1 à 10 is a three-part piece.

I – Studio XX launched a UFO straight into Montreal’s cultural landscape back in 1997: Maid in Cyberspace – le festival XX d'art WWW was the first incarnation of what would later become the HTMlles festival. Studio XX was still in its first year of existence at the time. In « Les femmes voulaient-elles vraiment utiliser des ordinateurs? » published in .dpi back in 2010, Kathy Kennedy – pioneer of an artistic practice focusing on technology and cofounder of Studio XX along with Kim Sawchuck, Patricia Kearns and Sheryl Hamilton - talks about the context in which the studio and festival were created.

II – Year after year, editions of the festival allowed for true oases of resistance in the face of renewed societal power and normative structures. Looking back at all of the 10 editions allows us to identify the dominant traits, the modes of resistance as well as the turning points that marked the HTMlles festival starting from its inaugural edition all the way up to its 10th year.

III – Lastly, Kennedy’s question of whether or not women really wanted to make use of computers is explored in a way that validates the importance and need for a feminist perspective in the media arts world in 2012. If this question is now largely irrelevant given how widespread and routine computer use is in our day and age, we must stay mindful of the context behind it - that is, women’s access to technological tools. This access is determined by two factors - economic and cognitive power. The sharing of resources and knowledge - two values that have been the core of Studio XX since its creation - are and will always be answers whose relevance correlates with technological advances.

Les HTMlles – 1 à 10

I

En 1997, Studio XX lançait un ovni dans le paysage culturel montréalais : Maid in Cyberspace – le festival XX d'art WWW - est la première appellation de ce qui va devenir le festival Les HTMlles.

Studio XX n'existe alors que depuis un an.

Dans « Les femmes voulaient-elles vraiment utiliser des ordinateurs? » , publié en 2010 sur .dpi, Kathy Kennedy – elle-même pionnière d'une pratique artistique où les technologies sont à l'avant-plan et fondatrice, avec Kim Sawchuck, Patricia Kearns et Sheryl Hamilton, du Studio XX – nous raconte ceci à propos du contexte de création de l'organisme et du festival :

« C'est seulement cette année-là, lorsque j'ai acheté mon premier Power Mac, que je me suis rendue compte qu'il existait réellement un fossé numérique qui maintenait les femmes à distance de la révolution technologique aux points de vue économique et idéologique. Les femmes étaient alors si intimidées par l'idée de travailler avec la technologie qu'il serait difficile de le comprendre aujourd'hui. Vu notre scène sociale hyperactive, il semblait inévitable que certaines personnes me demandent d'avoir accès à l'ordinateur et il me semblait bizarre de garder un outil aussi puissant pour moi toute seule.

Le soir de mon anniversaire de 34 ans, après beaucoup de vin et de festivités, j'ai convaincu Kim et Trish de jurer de devenir partenaires dans la création d'un super-méga-groupe féministe-activiste-artistique. J'ai convoqué une assemblée de femmes artistes de Montréal que je connaissais et qui travaillaient déjà avec la technologie; manifestement, il y avait déjà beaucoup d'enthousiasme pour le projet. L'équipe sympathique de la Galerie OBORO nous a rapidement offert un tout petit espace de bureau pour une somme dérisoire, et aussitôt j'y ai déménagé mon Power Mac, j'ai fait installer une ligne de téléphone et j'ai connecté notre modem 56k et hop, c'était parti!

[…]

L'énergie qui entourait ce nouveau club/groupe/entité était extravagante et il était évident qu'il y avait un véritable besoin social à combler. Kim nous a sagement suggéré de tenir une conférence de presse vers la fin septembre 1995, et ce fut un très grand succès. Près de cent personnes arrivèrent au 4001, rue Berri, chacune avec des demandes et son opinion sur ce que ce nouveau centre devrait être. Nous avons commencé à comprendre qu'il y avait des facteurs économiques et sociaux évidents qui avaient créé ce décalage entre la façon dont les hommes et les femmes se servaient des ordinateurs. Heureusement, nous nous sommes servies de la ressource incroyable que représentaient les recherches universitaires d'étudiants de deuxième et de troisième cycle, par l'intermédiaire de Kim Sawchuk, Catherine Russel et Will Straw. Leurs heures de recherche étaient l'important travail bénévole dont nous avions besoin au départ (et dont nous avons sans doute encore besoin). À cette époque, Sheryl Hamilton s'est impliquée par le biais de son travail de doctorat à l'Université Concordia, et a commencé à faire le gros du travail qui consistait à exprimer clairement les activités de recherche qui apporteraient du financement pour le Studio XX. Avec le recul, je peux dire que nous avons vraiment examiné la question en profondeur, au point même de nous demander si les femmes voulaient vraiment se servir des ordinateurs. »

Plus de dix ans plus tard, il faut admettre que oui, les femmes aussi voulaient réellement se servir d'un ordinateur. Il est même étonnant de penser qu'en 1995 on pouvait se poser cette question, sans aucune ironie, alors qu'aujourd'hui il est pratiquement impensable de fonctionner sans ordinateur et autres déclinaisons technologico-informatiques.

Un peu plus loin Kennedy ajoute : « […] Internet était tellement nouveau qu'aucune de nous ne pouvait imaginer le domaine étendu de l'art Web; c'est donc grâce à Catherine McGovern que le Festival HTMlles existe. »

II

Catherine McGovern, qui a dirigé le Studio XX durant ses premières années, est à l'origine de la première édition des HTMlles (comprenons : HTML + Elles).

Ce qui suit est ma lecture – sous la forme d'un bref survol – des dix éditions à travers lesquelles le festival s'est transformé et adapté en regard de l'évolution du contexte technologique en création artistique.

1- 1997. Maid in Cyberspace – le festival XX d'art WWW est la première appellation de ce qui deviendra Les HTMlles. Comme mise en contexte du festival et de ses contenus, deux textes que l'on retrouvent encore sur le site Web de cette première édition, offrent deux perspectives directement liées à l'initiative : L'oeuvre d'art à l'ère d'Internet de Katherine Liberovskaya et Thoughts on cyberfeminism… de Sheryl Hamilton. Ces textes expriment une vision des choses qu'il est particulièrement intéressant de reconsidérer aujourd'hui avec quinze ans de distance.

2- 1998. Maid in Cyberspace – Encore sera l'intitulé de la 2 e édition du festival. Et on ajoute : la 2ième édition du festival International d'art W3 au féminin montréalais! Soulignons, entre autres activités, la tenue d'un Forum russe en ligne sur le cyberféminisme, animé par Katherine Liberovskaya et réunissant des artistes, commissaires et théoriciennes de Montréal et St-Pétersbourg.

3- 2000. Maid in Cyberspace – Web Art Festival, devient en français Les HTMlles, le Festival du cyberart. Outre des projets d'art Web et un nouveau volet installation “hors-net”, cette 3e édition proposait aussi des contributions théoriques sous la forme de communications et table ronde : Cathy Busby, Francine Dagenais et Laura U. Marks présentaient ainsi “leur recherche sur les femmes dans le Web et le rôle des nouvelles technologies dans notre société.”

4- 2001. Maid in Cyberspace – Mutating Cultures and Identities / Les HTMlles Festival de cyberart – Les identités et cultures mutantes est une édition marquée par une diversification significative des différents volets du festival. En plus des projets d'art Web, d'installation et de conférences, on retrouve : Web Jam; performances; concerts et ateliers.

5- 2002. Maid in Cyberspace / Les HTMlles en cyberespace avait pour thème Le double, le multiple et la contamination dans l'art Web / The Double, the Multiple and Contamination in Web Art. On proposait alors “une réflexion sur l'espace Web en tant que lieu hybride, pluriel et métissé”. L'une des particularités de cette édition est sa portion nomade : grâce à une collaboration avec La Chambre blanche, une partie de l'évènement s'est vue présentée à la Caserne à Québec.

6- 2003. Les HTMlles festival de cyberart 06 / Maid in Cyberspace Festival 06 proposait le thème Radicale libre / Active Agent. On y évoque notamment l'essentielle question de la résistance et s'y retrouvent des femmes dont l'implication dans le milieu de arts médiatiques est aujourd'hui majeure : Nina Czegledy; Michelle Teran; Stephanie Rothenberg. Et des artistes d'ici : Magali Babin; Alexis O'Hara; I8U. Un camp de radio radicale pour jeunes, en collaboration avec CKUT, fut également offert.

7- 2005. La 7e édition du festival marque le passage de l'annuel au biennal. HTMlles 07 – Périphéries et proximités proposait de réfléchir notamment aux “technologies de proximité” et autres “appareils périphériques” dont “le corps futur” figurait l'un des sujets possible. Aux volets habituels du festival s'ajoutait celui des “micro-actions” dont l'une de Joanna Berzowska impliquant des “textiles électroniques”.

8- 2007. Les HTMlles 8 – Crowd Control / Contrôle des masses s'auto-libèlle : Festival d'art médiatique et de pratiques en réseau. Si la dimension féministe est peut-être plus implicite, celle politique, elle, est clairement exprimée. La question de la mobilité et des problématiques socio-géo-politiques qui y sont associées, développée par Kyd Campbell, directrice de la 8e édition, est amenée avec finesse et pertinence. Outre des essais, toujours accessibles sur le site Web de l'édition, un Wiki avait aussi été crée pour l'occasion.

9- 2010.HTMlles 10 – <Terre> </d'appartenance> <Home> </Land> proposait un libellé ramenant à l'avant-plan la question féministe par une reformulation de l'équation : Art+Technologie+Femmes+Société. Aux volets que l'on connaît s'ajoutait celui sur le jeu indépendant et émergent : Ludologie numérique, co-commissarié par Émilie Grenier et Cindy Poremba. Un hommage à une pionnière des arts médiatiques, Louise Poissant, figurait aussi parmi les évènements spéciaux de cette 9e édition.

10- 2012. Les HTMlles 10 – Affaires à risques / The HTMlles 10 – Risky Business se définit comme un “festival féministe d'art médiatiques + de culture numérique”. La réintroduction de terme “féministe” est à noter : une certaine posture est réaffirmée alors que l'évocation du passé et la réactivation de certains débats ne va pas spécialement de soi : c'est toujours un peu risqué.

Au moment où j'écris ces lignes, HTMlles 10 est à venir. Ce qui, au final, est un argument recevable pour conclure cette revue sur quelques points de suspension...

III

Visiblement, ces 15 ans / 10 éditions du festival Les HTMlles ont été l'occasion d'explorer une multitudes de questions liées à l'équation : femmes + nouvelles technologies. On pourrait penser que cette initiative est née d'un désir de résoudre un “problème” dans l'équation et c'est là, je crois, qu'il y a erreur dans la formule. Il ne s'agit pas tant d'un problème que d'une “situation” qui évolue : l'équation demeure, à quelques variables près, mais le résultat est un objet complexe, un ensemble de données instables. Cet ensemble instable est l'une des forces du festival – qui l'oblige à se renouveler constamment, à se repositionner et même à se commettre.

Si en 1996 Kathy Kennedy se demandait si les femmes voulaient vraiment se servir d'un ordinateur – et si aujourd'hui ce questionnement est résolu dans la mesure où pratiquement tout le monde se sert d'un ordinateur, qu'il le veuille ou non – il ne faut pas oublier le contexte qui a motivé le questionnement initial, c'est-à-dire l'accès des femmes aux outils technologiques. Et cet accès est déterminé, entre autres chose, par deux enjeux majeurs : les pouvoirs économique et cognitif.

Rappelons un fait bien connu : en 1996, les femmes gagnaient moins que leurs homologues masculins pour un même travail – par exemple pour un poste de direction qui, au surplus, sera le plus souvent occupé par un homme. En 2012, les femmes gagnent toujours moins que les hommes pour un même travail, et ceux-ci sont toujours majoritaires dans les postes de direction – à la différence qu'on en parle beaucoup moins.

Au pouvoir économique s'ajoute le pouvoir cognitif qui, outre son lien à l'argent (tout se paie, la connaissance y compris), représente une clé qui donne accès à la compréhension des mécanismes qui régissent notre monde et ses micro-mondes. Avoir la possibilité d'agir sur la société n'est pas donnée d'emblée et, de ce point de vue, l'acquisition du savoir est une chose précieuse qui trouvera toujours à excéder sa valeur initiale.

Un ordinateur sera sans doute toujours un outil qui coûte cher et qui requiert certaines connaissances pour bien l'utiliser. Assumer ces coûts et ces apprentissages est aujourd'hui une chose normale et, jusqu'à un certain point, intégré dans l'inscription sociale des individus. Parallèlement, l'ampleur des pôles économique et cognitif perd en force de génération en génération. On aurait même envie de prédire l'identification imminente du gêne informatique.

Ce qui a changé aussi depuis l'interrogation initiale de Kennedy en 1996 c'est qu'il s'agit maintenant d'un questionnement qui se déploie en éventail. De l'ordinateur seul, les outils informatiques se déclinent désormais en de multiples éléments susceptibles d'élargir constamment le champ de création des arts médiatiques. Susceptibles aussi de coûter toujours plus cher et de requérir toujours plus de connaissances afin de savoir les utiliser.

La mise en commun des ressources et le partage des connaissances, deux valeurs fondamentales du Studio XX depuis ses premières heures, constituent encore et toujours des éléments de réponse dont la pertinence est certainement proportionnelle à la constance des développements technologiques. Une certaine philosophie DIY (Do It Yourself) fait peut-être aussi partie de la solution – lorsque les systèmes ne se soucient plus que de s'alimenter entre eux et s'appliquent à drainer nos énergies dans leur “loop” sans fin c'est qu'il est peut-être temps d'évoluer à l'écart de ces structures stériles. Et lorsque les voix deviennent trop peu, trop pauvres et trop faibles – qui risque aujourd'hui? Qui ose la prise de parole? – il faut alors stimuler d'autres vecteurs d'expression. La culture et la création artistique, dans ce qu'elles véhiculent d'intégrité, figurent parmi ces voies. Les HTMlles en sont.

 

Nathalie Bachand is in charge of development for the Elektra international digital arts festival. She edited Angles Digital Arts (2009) and contributed to the group publication Tactiques insolites : vers une méthodologie de recherche en pratique artistique (2004). She holds a M.F.A. in visual arts and has completed her PhD course work for the Art Studies and Practices program at UQAM. She sits on the board of Centre Skol and Conseil québécois des arts médiatiques (CQAM), on the editorial committee of the art magazine Inter and the programming committee of Studio XX and HTMlles Festival 2012. She writes, notably about visual and media arts.