.dpi est un média alternatif et un espace de création engagé, favorisant les échanges au sujet des femmes et des technologies.

.dpi no8 :: Cultiver la mobilité :: Myriam Yates

dans les catégories

Cultiver la mobilité. Deux mots côte à côte qui mettent de l’avant une idées paradoxales. Cultiver suggère un acte qui se concrétise à l’intérieur d’une certaine routine, qui demande une certaine constance, une attention soutenue. Comment entretenir quelque chose dans le mouvement, si ce n’est que d’entretenir le préjugé de la mobilité comme une valeur positive, reliée à l’avancement, au progrès, à la flexibilité et favorable à l’économie? La mobilité apparaît comme la valorisation du déplacement. Dans ce huitième numéro de .dpi, il s’est avéré que la plupart des textes laissent de côté l’aspect ‘proactif’ de la mobilité pour plutôt en faire ressortir ses aspects cachés – l’autre côté de la médaille comme on dit – pour mettre de l’avant certaines fragilités, restrictions ou conséquences négatives de la mobilité.

Dans «A modern-day nomad who moves as she pleases», Ana Rewakowicz nous convoque dans sa pratique d’artiste où le gonflable sert de vêtement et d’habitacle portatif favorisant une inclusion du privé dans l’espace public. L’idée que la maison, le ‘home’, change de statut avec les technologies portables, que les technologies-prothèses nous affranchissent du lieu fixe de l’habitat, n’est pas nouvelle. Toutefois, la nécessité de marquer un territoire est toujours très présente. L’artiste ici propose une mobilité fabriquée: elle construit une mobilité volontaire, gonflable, qui s’ancre temporairement dans le territoire et s’inscrit dans le réseau de l’art. En réfléchissant sur une architecture personnelle portable où seule une membrane fine, souvent transparente, sépare l’individu de l’espace où il se trouve, derrière un certain idéal d’autonomie, l’artiste mets aussi de l’avant la fragilité du corps et de l’individu soumis autant aux intempéries qu’au regard des autres.

La mobilité n’est pas toujours une affaire de volonté. Nat Muller, commissaire et critique travaillant notamment sur les pratiques d’artistes au Moyen-orient, se penche sur la mobilité en tant que privilège et sur sa restriction en situation de contrôle. L’auteure nous entretient d’une esthétique de l’immobilité dans une pratique de la photographie et de la vidéo d’artistes sous occupation. Particulièrement le travail d’une artiste née à Jérusalem qui combat dans sa production de vidéos ludiques, l’immobilité et le confinement imposés sur le territoire de la Palestine. La mobilité soumise au contrôle fait toute la différence au pouvoir de contrôler ses déplacements.

Ainsi, la mobilité contient aussi sa part d’inclusion et d’exclusion. L’article et les images que Laiwan nous propose à ce sujet sont évocatrices. La pollution électronique, le e-waste (electronic waste) est la conséquence d’une économie de la mobilité des technologies basée sur l’obsolescence. L’auteure nous fait rendre compte des conséquences néfastes de notre surconsommation des technologies personnelles. Sous le mode importation des technologies / exportation des déchets, cette économie s’insèrerait dans une idéologie et un système de post-industrialisation et de postcolonialisme dont l’Asie, et la Chine particulièrement, en font les frais. La courte durée de vie de nos bidules technologiques engendre une quantité de déchets que nous (Occidentaux) déversons dans le Tiers-monde, formant des amas toxiques que des mains asiatiques décortiquent à la recherche de matières revendables. Le caractère éphémère des technologies qui favorisent la mobilité produit des séquelles sur l’humain et dans l’environnement qui s’incrustent dans le temps et stagnent dans l’immobilité.

En contrepartie avec ces pensées plutôt moroses sur la mobilité, le compte-rendu de la tournée effrénée de la dernière édition du festival HTMlles en Europe de l’Est, EXPORT2 : trois villes en douze jours. Le parti pris de la commissaire et directrice du festival, Kyd Campbell, d’orienter cette tournée autour de la rencontre pourra nous concilier avec cette mobilité positive, celle qui génère des rencontres et des idées et où le contexte socio-politique est abordé et pris en compte.

Dans ce .dpi8, il s’agit donc moins de mettre de l’avant des outils de communications mobiles, que des questions englobantes sur la mobilité. Ici la mobilité et l’éphémère semblent aller de pair, ainsi que la fragilité, la contrainte et l’exclusivité. Finalement, choisir sa mobilité est bien une question de privilège.